Dans le chic quartier du 7e arrondissement, derrière Matignon se trouve la jeune galerie Lionelle Courbet. Ouverte il y a trois ans, à quelques pas des musées Maillol et Rodin, elle occupe rien moins que le salon de l'appartement de la galeriste éponyme. Une petite pièce à l'allure accueillante et chaleureuse, aux dimensions simples et à la lumière filtrée, où l'on entre comme chez un ami. On aurait bien envie de rester un peu là, à feuilleter les catalogues des anciennes expos dans le canapé des plus confortables, avec vue sur les belles oeuvres finement sélectionnées. En ce moment, les murs reçoivent d’ailleurs le travail graphique de quatre femmes : quatre approches organiques, quatre traits vivants oscillant du minéral au végétal en laissant toujours s'infiltrer un souffle, une brise ou un tourbillon.
Vent s'engouffrant dans les roseaux (Anne-Laure H. Blanc), dérive de la mangrove (Bernadette Février), membranes infinitésimales déployées dans leur respiration (Claude Hassan) ou corolles de botanistes suspendues au-dessus de leur floraison (Raphaëlle Boutié), l'ensemble de l'exposition 'La sève du feuillage ne s'élucide qu'au secret des racines' explore aussi bien l'enracinement que l'étiolement de ce qui est matière. Feuilles, tiges, enveloppes, cocons, chaque rainure, chaque filament ouvre un espace où le temps est lui aussi regardé à travers un microscope. En ne présentant presque que des dessins - mise à part une superbe toile enneigée, à l'épure toute japonaise et à la force d'une tempête de Raphaëlle Boutié, ainsi qu'une autre d'Anne-Laure H. Blanc, monochrome plus fantastique, écartant les pans d'un monde presque magique - l'exposition joue avec les codes d'un certain style d'art scientifique. Noirs sur blancs, les traits sobres mais précis ont l'air d'épingler la décortication de leur objet d'étude après de longues heures d'observation fine et minutieuse. Entre vision poétique sur le vivant et regard analytique sur sa forme et sa composition, les œuvres constituent un ensemble intrigant que l'on ne se lasse pas de scruter. Parfois, on se laisse même entraîner dans des songes où lianes et parfums de la Nature nous entourent. D’autres fois on s'attarde sur un détail technique de représentation, à la recherche d'une explication biologique insondable. Véritable proposition artistique, explorant autant le sensible que l'organique, l'exposition déplie une page d'un herbier à la manière d'un paysagiste lunaire.
Précieuse et mystérieuse, 'La sève du feuillage ne s'élucide qu'au secret des racines' tire son titre d'une citation extraite du roman de Patrick Chamoiseau, 'Texaco' (prix Goncourt 1992) qui interroge la terre martiniquaise et son identité créole. En faisant allusion à cet ouvrage important, l'exposition se place au cœur de la palpitation terrestre, sentant sa vibration et sa respiration. Il est ainsi agréable d'entrer dans une galerie qui fait se rencontrer des peintres d'âges différents, non pas autour d'un concept froid et purement contemporain, mais autour d'une vision, d'un état, d'une matière. Car c'est bel et bien le vivant que l'on apprécie ici dans toutes ces œuvres, leur mouvement ou leur fluidité.