Critique

La Toilette : Naissance de l'intime

4 sur 5 étoiles
  • Art, Peinture
  • Recommandé
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Time Out dit

Non, ceci n’est pas une exposition du BTP sur les systèmes de verrouillage qui ont permis, au fil des siècles, aux usagers de water closet de laisser libre cours à leur nature profonde en toute tranquillité. ‘La Toilette : naissance de l’intime’ nous a été pondu par le musée Marmottan-Monet qui, après un très beau parcours autour des ‘Impressionnistes en privé’ l’an dernier, regarde une fois de plus par la lorgnette de l’intime pour se pencher sur la cuvette des bidets, la porcelaine des baignoires et les rituels d’hygiène en général. Sujets prosaïques au possible qui ont, pourtant, maintes fois atteint les sommets de l’art dit « noble », entre le XVIe siècle et aujourd’hui.

A la hauteur (ou presque) de ses ambitions, cette investigation très riche et très fouillée nous met le nez dans un propos étonnamment fascinant, qui touche autant à l’histoire de l’art qu’à l’évolution des mœurs, de la société, de la médecine et même des systèmes de canalisation. Car si le bain reste, à la toute fin du Moyen-Âge, un rituel collectif presque hédonique, aux XVIe et XVIIe siècles, on commence à se « laver » sans eau et à portes closes, de peur d’attraper la vermine et autres maladies peu recommandables. En découlent des œuvres intimistes, à caractère social, où les pauvres se cherchent les poux (Georges de la Tour, 'La Femme à la puce') pendant que les soubrettes coiffent et parfument les riches pour cacher la misère (Abraham Bosse, 'La Vue'). Changement de registre au XVIIIe siècle. Soudain, c’est la foire à la chair, couleur « cuisse de nymphe émue » s’il-vous-plaît : chez Boucher, Eisen et autres amateurs de libertinage, le thème de la toilette permet de jeter des coups d’œil furtifs sous les jupons des dames, non sans humour (voire grivoiserie), les œuvres les plus permissives étant destinées aux murs des cabinets bourgeois.

Puis, avec l’avènement de la modernité (et des avant-gardes du XIXe siècle), l’eau se fait courante, les salles de bains se démocratisent et les gestes de propreté reprennent une place omniprésente dans la vie quotidienne. Les rituels de la toilette deviennent alors un moment privilégié, la vitrine d’un individualisme naissant où l’on peut explorer les corps nus sans passer par la case de l’académisme. Chez Degas, notamment, la femme au bain devient plus sauvage, plus brute, plus libre. Au tournant du siècle, Bonnard, émerveillé par les ablutions de son épouse, ira encore plus loin en dissolvant les courbes de sa Marthe dans les couleurs miroitantes de l’eau, pour créer une sensation de langueur presque hallucinatoire. Désormais, la toilette n’est plus une obligation mais un moment de détente, un lieu de refuge. Un rendez-vous avec l’intimité.

L’exposition (qui aurait tout aussi bien pu s’appeler « La Toilette féminine » tant il est question ici de la femme et de son corps) aurait très bien pu s’arrêter là, pour s'ouvrir subtilement sur les fondements de notre époque fardée de conforts narcissiques, d'introspection et d'hygiénisme. Mais les commissaires ont voulu évoquer le XXe siècle et l’art contemporain, quitte à les survoler de manière brutale. A la fin du parcours, on nous parle des formes géométriques de l’art moderne, de cosmétiques, de femmes-objets, de grands détournements. On accroche pêle-mêle Picasso, Léger, Blumenfeld, Kupka, Erro, les rattachant au sujet à coups de généralités, de raccourcis hâtifs et d’arguments un peu houleux. Dommage. En s'aventurant sur ce terrain glissant, Marmottan a eu les yeux plus gros que le ventre. Et se retrouve avec une parenthèse un peu bâclée, qui jète une ombre sur un parcours brillant et jonché de chefs-d’œuvre.

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Prix
11 €
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