Il y a des expos qui pourraient presque nous clouer le bec, tant elles enchantent nos pupilles et polissent notre langue fourchue. Mais on n’est pas gratte-clavier pour rien : et des choses à dire sur Jacques Henri Lartigue (1894-1986), en sortant de cette très belle exposition de la MEP, on en a quand même quelques-unes, fussent-elles fades et superflues au regard des images – merveilleuses pour la plupart – sélectionnées par la Maison.
On le croyait maître du noir et blanc, on le découvre génie de la couleur – lui, le peintre de formation, mésestimé pour ses toiles et acclamé pour sa photographie à partir des années 1960. C’est sur le tôt, à l’âge de 18 ans, que le Français découvre l’autochrome, se délectant de photos-souvenirs marquées, déjà, par une délicatesse réjouissante et un sens aigu de la mise en scène – ce qui donne lieu à quelques épisodes cocasses où on le voit, par exemple, skiant avec des camarades à la pilosité généreuse (1914) ou déguisé en bonne femme pour le bal costumé du Savoy (1919).
Mais c’est sur le tard, lorsqu’il découvre le procédé Ektachrome au début des années 1950, que Lartigue adopte définitivement la couleur. Alors, l’artiste se met à photographier comme un peintre, poursuivant les changements de saison et de lumière à la manière des impressionnistes ou des nabis. Eclatants de lumière, ses clichés dégagent dès lors une joie de vivre palpable et contagieuse – mais sans niaiserie aucune. Chez Lartigue, pas de bonheurs simples : au contraire, chaque photo respire une conscience de l’instant fugace, un certain désœuvrement face à la beauté fragile de l’existence.
Lui qui estimait que la photographie couleur était « ce qui vous retourne le mieux le couteau dans la plaie quant à la vanité des choses » dévore la vie à pleins déclics, certes. Mais en imprégnant ses images de mystère, voire d’humour. Une église en forme de pain de sucre, échouée au beau milieu de l’Arizona. Le reflet d’une péniche déformé par les caprices de l’eau. Un paysage voilé par une toile d’araignée. Un chien fou, des skis nautiques ridicules, un bonnet de bain étrange… Dans cette exposition, il y a un cadrage finement étudié et une nuance chromatique pour chaque petite incongruité de la vie. Pour chaque instant qui s’envole. De quoi nous couper la chique, vraiment.