Une quarantaine d'artistes. Une toile à ciel ouvert, faite de bric et de broc, de ruines industrielles, de voitures rouillées, de façades abandonnées. Non, ça ne se passe pas dans les décombres de Berlin Est, mais au nord de la ligne 7. Depuis le 17 mai, un monstrueux happening de street art a pris ses quartiers sur le terrain désaffecté du Fort d'Aubervilliers, désormais maquillé de la tête au bitume par des graffeurs venus des quatre coins du monde. Il faut dire que le lieu s'y prêtait. Convertie tour à tour en carrefour des contre-cultures du nord parisien (elle accueillait notamment le festival de hip-hop Temps Forts pendant les années 1980), en fourrière puis en casse automobile, l'ancienne bâtisse militaire du XIXe siècle respire le bon vieux terrain vague éclopé, à deux doigts d'être reconquis par une végétation insurgée contre la route nationale et les gratte-ciel environnants. Alors quand on sait que le site sera prochainement transformé en « éco-quartier » tout beau tout propre (ouverture prévue en 2025), on ne s'étonne pas que l'In Situ Art Festival ait voulu renouer, brièvement, avec l'histoire agitée du Fort en lui offrant une grand-messe de peinture à la bombe. Avec l'aide (tant qu'à faire) des docteurs ès psssht que sont 13 bis, Borondo, Kenor, Sixo, Jef Aerosol ou le collectif 9e Concept.
Une dernière explosion d'art, de couleurs et de liberté qui attire quelques amateurs du genre - mais aussi (il fallait s'y attendre) pas mal de promeneurs surlookés, équipés de poussettes et d'appareils photo à la gâchette facile. Hélas, c'est un peu le problème du street art une fois qu'il a été apprivoisé par une organisation externe : ça fait vite Disneyland de la contre-culture. Mais qu'importe, on prend plaisir à flâner parmi toutes ces créations éclectiques, à s'asseoir au volant d'une Twingo hémiplégique repeinte par Michael Beerens ou Laurence Favory, à s'attarder devant des fresques plus ou moins radicales, les expressions allant du plus kitsch (voire platement décoratif) au plus rêche. Quelques belles envolées graphiques sont à découvrir, notamment du côté des alcôves judicieusement exploitées par Gilbert ou Mygalo, du parking de la casse recouvert d'un portrait géant signé Gerada, ou sur le flanc des camionnettes corrodées prises d'assaut par les guérilleros urbains de Levalet. Et puis (autre bonne nouvelle) qui dit festival en plein air dit boissons fraîches : un petit bar a été improvisé du côté de l'entrée. De quoi siroter une petite mousse devant une drôle d'installation réalisée avec des cailloux. En regardant bien, on distingue une salle de bain, un lit conjugal, une chambre d'enfant - tout ce qu'il y a de plus insipides. Un plan d'architecte sans âme, en trois dimensions, couronné par un petit panneau ironique : « Ici prochainement. »
Plus d'infos sur le site officiel du festival.
Infos pratiques
Fort d'Aubervilliers
174 avenue Jean Jaurès, Aubervilliers (93)
Métro : Fort d'Aubervilliers
• Quand ?
Jusqu'au 27 juillet.
Les mercredi, samedi et dimanche de 14h à 19h30.
• Gratuit