Savez-vous quelle est la spécialité française la plus répandue dans nos contrées ? Ce n'est ni le calisson, ni le cassoulet, ni même le macaron. Et le caramel au beurre salé ? Lui aussi peut aller se rhabiller ! Non, le vrai talent de nos régions, c'est l'insurrection. Ou plutôt l'insatisfaction chronique teintée de cynisme qui amène le Français à tout critiquer, blâmer, désapprouver. « Impertinence et décadence sont les deux mamelles de la France », pourrait-on dire en paraphrasant Sully. Pour cause : l’Hexagone n’est jamais plus créatif et réaliste que dans ses marges, comme nous le démontre la nouvelle exposition tricolore de la Maison Rouge.
Nul n’est prophète en son pays
Dans un parcours relativement chronologique divisé en huit chapitres thématiques – cheminement traversé de sujets récurrents comme le sexe, l’austérité, l’exclusion, le genre et les multiples visages du militantisme –, notre incursion débute par une remise en contexte diachronique. Sur fond sonore de Renaud, de Trust (Antisocial) et de Gainsbourg reprenant la ‘Marseillaise’ façon reggae, un mur de couvertures du Nouvel Observateur, du Figaro ou de Charlie Hebdo – dont certaines nous paraîtront étrangement actuelles – retrace les événements socio-politiques ayant marqué la période post-mai 68 et pré-90’s : la création du journal pamphlétaire L’idiot international, le « Manifeste des 343 », l’assassinat de l’ouvrier maoïste Pierre Overney, l’évasion de Jacques Mesrine, etc. Une frise historique un peu scolaire mais cependant bien nécessaire avant de plonger tête la première dans ce bouillon de contre-cultures, corsé à souhait.
Grâce à elle, on cerne et discerne mieux les œuvres déroutantes ou provocantes d’Alfred Courmes et de Michel Journiac, dont ‘L’Hommage au putain inconnu’ nous en dit beaucoup sur le désamour des institutions martiales. De même que les affiches et les films aussi séditieux qu’équivoques de Roland Topor, les planches irrévérencieuses de Gébé, les photographies exubérantes de Copi non conforme s’amusent à titiller les corps puritains. Les installations subversives de Raymonde Arcier (avec sa géante en mailles crucifiée par les tâches ménagères), les tableaux du collectif « de peintres toxiques » Malassis illustrant l’affaire de mœurs Gabrielle Russier et la vidéo parodique des ‘Insoumuses’ démontant les misogynes de l’émission ‘Apostrophes’ éclairent, eux, l’avènement du féminisme. Quant aux spectres de luxure de Clovis Trouille, ils planent tels des oiseaux de mauvais augures à l’aube de la décennie SIDA… Bref, chacune des œuvres présentées témoigne d’une évolution des mentalités de son temps, que celles-ci reculent ou aillent de l’avant. Car ‘L’Esprit français’, celui qui dit « merde » aux institutions soit disant « bien-pensantes », ce n’est pas forcément l’esprit de tous les Français. Autrement, il n’aurait plus lieu d’être, les enfants de Marianne aimant trop la contestation.
Moins une célébration nostalgique d’antan qu’une ode au soulèvement latent
Derrière la cartographie d’une époque indocile, crachant avec une insolence plus ou moins véhémente (mais toujours singulière et made in France) à la tête des pouvoirs successifs, sommeillent toutefois des énergies du passé capables de se réactiver au présent. Humour noir, anarchie artistique et sarcasmes faussement absurdes n’ont en effet jamais franchi nos frontières et n’attendent que le sursaut d’un peuple saturé pour se réveiller. Impliquant aussi bien les créations/réactions d’hommes, de femmes et d’enfants, l’exposition de la Maison Rouge souligne la participation générale de ceux qui sont en mal du pays des Lumières. Pourrait-elle être l’étincelle, ou du moins l’électrochoc, qui secouerait nos exaspérations silencieuses ? Mystère…
Alors certes, on pourrait reprocher (après tout, c'est purement français) que la Maison Rouge ne se concentre que sur les contre-cultures de 1960 à 1980, alors que le XVIIIe siècle prérévolutionnaire foisonnait également d'esprits révoltés (et agissants, comme on le sait !). Néanmoins, avec plus de 700 documents et archives à caser dans « seulement » 2 000 m2, il fallait cibler pour ne pas s'éparpiller. Cette sélection, fruit du labeur de quatre années de recherches menées par les deux commissaires de l’exposition Guillaume Désanges et François Piron, est donc on ne peut plus légitime – bien qu’un peu frustrante. Ou alors faudrait-il créer un musée entièrement dédié à l'esprit français... Tiens, ça c'est une idée !
Vous avez adoré 'L'Esprit français' ? Consultez les meilleures expositions à faire à Paris ainsi que notre sélection d'expos abordant le thème de l'Histoire et de la culture.