Critique

L'Homme de Vitruve

4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Publicité

Time Out dit

Au dernier étage du Crédac, ancienne manufacture d’Ivry réinvestie par les étudiants et les artistes, l'œuvre qui ouvre l'exposition paraît prémonitoire. Considéré comme le premier film de l'histoire, ‘La Sortie des usines Lumière’ (Auguste et Louis Lumière, 1895) montre, en plan fixe, des ouvrières (et quelques ouvriers) franchissant la grande porte de l'usine. Un essaim d'employés qui discutent, se saluent, enfourchent leurs bicyclettes, papillonnant vers la rue d'un pas pressé. La journée de travail est finie. Bien qu’ils soient issus de générations très différentes et de pays variés (France, Allemagne, Roumanie, Etats-Unis, Vietnam…), la vingtaine d'artistes réunis dans cette exposition fait un peu le même constat : l'usine a fermé. Le monde ouvrier a disparu.

Alors, c’est l'artiste qui se charge de recueillir les traces, chercher les empreintes, classer les miettes de ce passé évanoui. Tel un historien qui tenterait de déceler les persistances culturelles d'une période révolue (‘Playlist 1977-1980’, Eric Bellec). Ou un archéologue qui explorerait les ruines d'une civilisation antique (‘Façade 01’, Simon Boudvin, 2010). Que reste-il de ce monde ? Un savoir-faire, capable d'accoucher de bateaux gigantesques, dont il ne subsiste plus aujourd'hui que des images réunies dans une petite boîte (‘La Part maudite illustrée’, Jorge Satorre, 2010). Une architecture typique, à l'image de ces corons répétitifs que Bertille Bak a immortalisés au stylo noir (‘Cité n°5’, 2007). Une souffrance aussi, celle des corps exploités, forcés de s'adapter à des cadences infernales, comme le rappelle Richard Serra avec un humour chaplinesque (‘Hand Catching Lead’, 1968). Surtout, malgré l'amertume, demeure cette fierté, acquise au cours de luttes sociales ou de grèves légendaires.

Dialoguant intelligemment, ces créations composent une véritable nécrologie de la culture ouvrière. Mais le plus fascinant, c'est la manière dont, en faisant acte de conservation, ces œuvres s'unissent non seulement pour construire une Histoire de ce savoir-faire révolu, mais aussi pour forger toute une mythologie. Dès lors, sous le noir et blanc de Bernd et Hilla Becher, les tours sépulcrales des usines désaffectées se drapent d'une aura presque religieuse, au point de dégager la même majesté impénétrable que les pyramides d'Egypte ou les géants de l'île de Pâques, trop anciens pour que l'on sache trop à quoi ils servaient. Les cadeaux offerts à Maurice Thorez, dirigeant du parti communiste français pendant plus de trente ans, ressemblent à des ex-voto païens, dédiés au saint qui aurait écouté vos supplications (‘L'un de nous doit disparaître’, L. Hervé et C. Maillet, 2012). Quant à l'inventaire photographique de Jean-Luc Moulène, il ravive le souvenir de héros populaires, et transforme leurs « objets de grève » en amulettes nostalgiques, reliques de combats oubliés… On croyait le monde ouvrier disparu, le voilà qui atteint, grâce à l'art, une immortalité fabuleuse.

> Horaires : du mardi au vendredi de 14h à 18h, samedi et dimanche de 14h à 19h

Infos

Site Web de l'événement
www.credac.fr
Adresse
Prix
Entrée libre
Publicité
Vous aimerez aussi
Vous aimerez aussi