Un rivage, des visages, des silhouettes, une élégance dans les gestes et les postures. Une sorte de lenteur, d'apaisement et de relâchement. Voilà le travail photographique de Louis Stettner. Une lumière qui transperce l'image et éclaire la rondeur d'un menton, la noirceur des mains calleuses, la fatigue d'un passager de métro, l'écorce écaillée d'un arbre. Tout est vivant, le vent comme la brume, le repos comme le travail, la marche comme l'immobilisme.
Photographiant les rues parisiennes et new-yorkaises dans une rare douceur, le regard de Louis Stettner dévoile un paysage urbain loin de sa cacophonie ordinaire. Interstices lumineux, ses photos saisissent une atmosphère qui a l'air presque irréelle, baignées dans une sorte d'apesanteur peu commune, que peu d'œils savent voir. Et bien que détachés de leur monde, ses clichés sont de parfaits témoins de leurs temps : rames de métro, trottoirs, devantures de magasins, wagons de trains et docks, sont les lieux d'errance privilégiés du photographe sans cesse à l'affût d'un instant décisif.
Un regard amusé mais lucide
C'est à l'occasion du don exceptionnel de Louis Stettner d'une centaine de ses tirages au Centre Pompidou, après que ce dernier en ait acquis une trentaine, que Beaubourg expose ces merveilles photographiques dans sa galerie de photos accessible à tous. En présentant l'ensemble de son œuvre, de ses premiers travaux des années 1950 à ses derniers projets américains des années 2010 – sans oublier son fabuleux reportage sur la Beat Generation – ‘Ici ailleurs’ rend un bel hommage à ce grand photographe qui, encore aujourd'hui, continue d'être émerveillé par ce qui l'entoure et d'en rendre compte.
Bien sûr le précieux plaisir nous envahit quand on retrouve le noir et blanc de Louis Stettner, qu'il capte la réalité française ou américaine, avec le même œil amusé et lucide, mais c'est une véritable joie de découvrir, pour la première fois, sept tirages originaux de son projet de livre de 1956, ‘Pepe et Tony’. Consacré à deux pêcheurs d'Ibiza où le remous de la mer se confond avec leurs visages taillés dans la pierre et où la robustesse de leurs mains fait corps avec l'effort précis mais immense de leurs gestes d'artisans et serviteurs marins.
Parcours intimistes
Dans ‘Ici ailleurs’ on est bercé par les images, on navigue à vue dans une vie faite d'instants, de poses, d'apparitions et de rencontres dans un noir et blanc majestueux où la clarté surgit d'une ruelle ou d'un tunnel. Pensée comme le déroulement de l'œuvre de Louis Stettner l'exposition invite le visiteur à un véritable face-à-face avec le photographe.
Ainsi, des réflexions sur son propre travail accompagnent un certain nombre de ses photos et nous rapprochent encore plus de sa façon de faire, de voir et de penser son art. Sensible et riche, ‘Ici ailleurs’ mérite d'être vue autant pour le parcours intimiste qu'elle déploie que pour les œuvres de qualité qu'elle montre. On y sent d'ailleurs autant le soleil méridional que la brise new-yorkaise.