Les douze 'Sans titre' que Marc Desgrandchamps présente à la galerie Zürcher sont autant de mystères et d’impalpables que de mondes ouverts sur un récit en train de s’écrire. On circule à travers les toiles au bleu blanchi. Le regard glisse sur une silhouette évanescente, rebondit sur une sandale et repart dans un espace urbain à l’indétermination précise. Ici, l'artiste plonge encore ses figures dans un doute aux contours flous et à la puissante force de persuasion. Il nous entraîne dans le mouvement qu’il a initié, nous invitant à le poursuivre, pour enrichir le récit qu’il suscite. Construite autour du thème de la métamorphose, l’exposition propose un parcours énigmatique qui voit les paysages devenir végétaux ou usines, les figures statues de pierre ou femmes en partance. Les silhouettes qui sont aussi bien un souvenir que le début d’une existence bientôt assez consistante pour s’appartenir, nous guident à travers les tableaux. On les suit dans leur fuite, elles nous entraînent dans leur mouvement, dans leur fugacité. Parfois, on rencontre un indice qui nous dit que l’étrange énigme peut être approchée d’encore un peu plus près : une tong, un petit bout de couleur appuyé, un arbre, un poteau…
C’est un véritable voyage que d’être face aux toiles de Desgrandchamps. De ses propres mots l’artiste aime « induire le spectateur en erreur, lui donner la confortable impression d’évoluer au sein d’un univers familier alors que d’imperceptibles décalages finissent par saper toute possibilité de repérage ». L’on a l’impression d’être à la fois sous l’eau et au vent, à la fois en ville (l’espace est somme toute ordinaire et reconnaissable) et au milieu de nulle part (jamais d’arrière-fond purement réaliste), à la fois noyé et secouru par les femmes qui nous sèment et nous rattrapent. Sa technique picturale qui fonctionne par couches et transparences nous fait assister à une transformation. Nous sommes devant un corps et un espace en train d’advenir : une métamorphose. La tonalité bleue, qui s’infiltre dans tous les paysages, qui recouvre l’espace d’une couche presque translucide mais pourtant teintée, déroute et participe à la création de cette atmosphère intrigante.
Oxymoriques et énigmatiques, les 'Ombres blanches' sont fragiles et elliptiques mais se maintiennent dans l’affirmation de leur présence toujours changeante. C’est là toute la force de son travail pictural. Sans créer un système, il produit une impression sans cesse renouvelée. Les œuvres présentées à la galerie Zürcher sont l’aboutissement et le prolongement du travail qu’il mène depuis maintenant dix ans et qui fait de lui l’un des artistes français contemporains le plus reconnu. Statut qu’il honore en présentant une fois encore une œuvre cohérente, riche et percutante.