Critique

Marcel Duchamp : la peinture, même

4 sur 5 étoiles
  • Art, Installation
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Time Out dit

Encore un coup machiavélique de Marcel Duchamp (sacré Marcel). On le savait iconoclaste, joueur d’échecs, hédoniste, nihiliste, dadaïste, érotomane, cubiste évincé, mathématicien de l’absurde, parisien, admirateur de machines, new-yorkais, métaphysicien. On le découvre non seulement peintre fauve, symboliste ou expressionniste selon l’humeur, mais aussi – et surtout – commissaire au Centre Pompidou. Presque entièrement ponctuée de textes et de discours de l’artiste, ‘Marcel Duchamp : la peinture, même’ ne ressemble pas tant à une exposition sur Marcel Duchamp qu’à une exposition sur Marcel Duchamp par Marcel Duchamp, qui (on n’en attendait pas moins de lui) a trouvé le moyen de revenir d’outre-tombe pour semer encore une fois le doute sur ses intentions artistiques. Plus dada-iconoclaste, tu meurs.

Dans les salles de Beaubourg, c’est l’artiste, dont les commentaires recueillis ici ou là servent de légendes aux œuvres, qui nous explique pourquoi tel ou tel tableau de Braque, de Cézanne, de Redon ou de Matisse le fascine au tout début du XXe siècle. C’est lui qui compare ses « interprétations lâches » et approximatives du cubo-futurisme, aux peintures de Balla ou de Delaunay, accrochées aux côtés de son ‘Nu descendant l’escalier. N°2’. Lui aussi qui analyse son développement artistique, et nous parle de sa phobie des théories, d’« envers de la peinture », de vouloir « faire des œuvres qui ne soient pas "d’art" ». Bref, après s’être appliqué tout au long de sa vie à déconstruire le statu quo artistique, voire à saboter la culture muséale, le père du readymade semble aujourd'hui vouloir manipuler les commissaires de sa propre exposition, tandis qu’ils tentent tant bien que mal de revenir sur ses racines de peintre dans l'espoir d'éclairer l’ensemble de son œuvre. Drôle, détaché, malin, Duchamp les emmène sur des pistes avant de faire demi-tour sans prévenir. Comme pour les perdre dans les impasses contradictoires de sa pensée.

On le voit s’imprégner comme une éponge de tous les courants artistiques du début de siècle, s’essayer à presque tous les styles, à toutes les formes et à toutes les couleurs. Ici, il s’imbibe de Kandinsky, de Kupka, de Chirico, là, de Brancusi ou de Picabia, avant de tout essorer pour se libérer des «  influences passées ». Assimiler pour mieux déconstruire : du Duchamp tout craché. En ce sens, Beaubourg propose des interprétations intéressantes. Notamment que le readymade ne serait pas tant une rupture qu’une continuité – une sorte d’aboutissement. Car là où d’autres ont purifié la peinture en l’amenant vers l’abstraction, Duchamp, lui, se « délivre de la camisole cubiste » et des chaînes de l’histoire de l’art en abolissant carrément la représentation. Autrement dit, en livrant l’objet tel quel, il en finit avec la peinture, tout en la réinventant.

Difficile cependant de déceler une véritable logique dans ce parcours complexe (à l’image de l’homme qu’il honore), qui pose des questions sans vraiment donner de réponses. Le cheminement frénétique de Marcel Duchamp finit par nous emmener à sa dernière œuvre, ‘Etant donnés’ (installation déroutante, visible dans son intégralité grâce à une maquette au 1/10e), et à son énigmatique anti-tableau, ‘Le Grand Verre’. Mais à vrai dire, on ne sait pas trop comment et pourquoi on en est arrivés là. On a surtout pris plaisir à se perdre dans les méandres de l’esprit duchampien. Sans tout comprendre. Sans vraiment vouloir comprendre. Sans pouvoir comprendre. Et c’est ça qui le rend toujours aussi beau et aussi brillant.

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De 10 à 13 €
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