C’est sur un autoportrait à l’huile, pose nonchalante et lunettes de soleil sur le nez, que Mark Rothko nous accueille dans son immense rétrospective, menée d’une main de maître par la Fondation Louis Vuitton. Un autoportrait ? Oui, le seul jamais peint par le grand représentant de l’expressionnisme abstrait. Le parcours s’ouvre donc sur des essais méconnus du peintre, de la figuration maladroite où s'enchaînent scènes dans le métro new-yorkais et portraits anonymes des années 1940 à des tentatives surréalistes, Rothko estimant qu’il a échoué à représenter la figure humaine « sans la mutiler ». Si l’on déambule assez vite dans les salles, impatients de se confronter à ses grands aplats colorés, elles sont fascinantes de contexte : comment en arrive-t-on à capturer aussi merveilleusement la lumière ?
Dès la deuxième galerie, c’est le choc. Rothko, le seul, l’unique dans toute sa splendeur. « Mon art n’est pas abstrait, il vit et il respire ». Et nous, le souffle coupé, on ne peut que lui donner raison : si la beauté silencieuse des œuvres du peintre américain n’est plus à prouver, cette critique est surtout l’occasion de rendre justice à la Fondation Vuitton qui crée une expérience contemplative idéale. Le traitement de la lumière, l’espace donné à chacune des 115 toiles (réparties sur 10 galeries étalées sur 3 étages) et la hauteur d’accrochage basse, conforme à la volonté de l’artiste, contribuent à immerger complètement le spectateur dans le monde lumineux de Mark Rothko, fait de formes rectangulaires où se fondent ocres, jaunes et rouges jusqu’à s’assombrir, dans sa série des Blackforms. Vous croyez à des monochromes ? Attendez que votre œil ne s’habitue et ne décèle, là encore, des rectangles aux nuances multiples.
Côté médiation, si la tendance à l’épure du fief de Bernard Arnault nous a souvent agacé, cette fois-ci sa présence discrète (par QR code notamment) nous comble. Alors que Rothko, comme un paquet d’artistes abstraits, a la réputation d’être un peintre d'initiés, c’est finalement tout l’inverse et face aux immenses formats, on n’a juste pas envie de lire. Simplement de ressentir le silence, la lumière et la plénitude presque angoissante qui se dégage de ces toiles, sans avoir besoin d’une thèse en Histoire de l’Art pour apprécier. Un sans faute pour la FLV, qui, on l’espère, misera sur des jauges pour permettre à tous les futurs visiteurs de profiter, eux aussi, de l’expérience sensorielle signée Rothko.