Et si le paradis sentait le liquide vaisselle ? C’est le genre de question existentielle qu’on est amené à se poser devant le ‘Bouquet final’, dressé dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins. Après Claudio Parmiggiani, Evariste Richer et Céleste Boursier-Mougenot, l’ex-académie cistercienne s’ouvre une nouvelle fois à l’art contemporain en invitant Michel Blazy à confronter de vulgaires substances du quotidien à la solennité des lieux. Si la crème dessert au chocolat, le gruyère râpé, la purée de betterave et autres croquettes pour chiens peuplent habituellement ses sculptures éphémères et farfelues, l’artiste français accro aux grosses plâtrées d’art périssable a décidé d’être « clean » entre ces murs datant du XIIIe siècle - voire à y faire un peu de ménage. Au menu : une immense installation à base d’échafaudages et de bacs en plastique, desquels surgissent des cascades de mousse qui se figent dans les airs avant de s’écraser lentement, très lentement, sur le sol, tout au long de la journée (le mécanisme est rechargé chaque matin).
Un étonnant mur d’écume qui, à première vue, peut dégager comme des vapeurs de foutaise parfumées au détergent (« bof, encore de l’imposture sous couvert d’art contemporain »). Soit. Mais plus on contemple cette mise en scène pour soirée mousse bigote, plus ces volutes blanches happent le regard, révélant une multiplicité de lectures. Car comme toujours chez Blazy, une réflexion subtile et complexe se cache derrière le prosaïsme des matériaux ménagers. Ces nuages blancs qui tapissent le sol – avec leurs faux airs d’éden pour Bisounours –, dans lesquels on finit par avoir comme une envie de se jeter, semblent vouloir nous divulguer l’envers du décor, les mécanismes du grand manitou, les artifices de l’éblouissement mystique. Une sorte de potion magique ambivalente, qui agit aussi sur notre définition de l’art : Blazy se plaît, comme à son habitude, à interroger la notion de readymade en soumettant son œuvre aux cruelles lois de la décomposition.
Sous le poids de cette cascade figée en pleine chute, l’immatériel devient concret et la trivialité se mue en art, comme pour mieux se fondre dans ce décor autrefois pieux. On regarde ces blocs de mousse s’émietter, petit à petit, comme on observerait des amas de glace s’effondrer du haut d’un iceberg, avec l’impression d’être insignifiant, minuscule, face à un phénomène qui nous dépasse. Nez à nez avec la fugacité de l’existence, et une surconsommation qui pédale dans la choucroute. Car ici, plus encore qu’ailleurs, l’œuvre de Michel Blazy trouve le moyen de s’enchanter envers et contre tout, bâtissant à partir des matériaux les plus ordinaires une fabuleuse machine à transcender le réel.
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> Notre critique de l'exposition de Michel Blazy à la galerie Art:Concept, mars 2012
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