La peinture à l’huile et les statues en bronze, c’est pas trop son truc. « Crème dessert au chocolat et à la vanille, œufs, lait concentré sucré, chapelure, grignotés par des souris » : voilà plutôt le genre d’ingrédients périssables avec lesquels Michel Blazy aime cuisiner ses œuvres d’art, toutes plus organiques et farfelues les unes que les autres. Depuis plus de vingt ans, le Monégasque imagine des installations grouillant de matériaux éphémères comme la mousse à raser, les spaghettis ou la purée de betterave. Autant de grosses plâtrées de bouffe et de moisi qu'il magnifie en les introduisant dans le milieu de l’art contemporain, tout en vulgarisant l'idée même de création : ici, l’œuvre se transforme par elle-même, vit, se putréfie, l’artiste prenant plaisir à lâcher son travail dans la « nature » (comprenez : galeries aseptisées), sans trop savoir comment il va tourner.
Et le plus beau dans tout ça c’est que, derrière ses airs foutraques et grotesques, la démarche de Michel Blazy renferme en fait une réflexion subtile. Avec trois fois rien, l’artiste-conceptuel-philosophe-performeur-professeur-foldingue revisite le ready-made (en soumettant son œuvre aux cruelles lois de la décomposition), met son doigt gras sur les torts de la surconsommation, sublime les trivialités du quotidien et interroge la fugacité du monde matériel. Oui, oui, tout ça à la fois. De son univers éphémère émerge ainsi une forme improbable de sublimation, au doux parfum de jus de lentilles ou de sucre glace : ses expositions se vivent comme une étrange occasion de s’enchanter envers et contre toute la laideur de notre ère postindustrielle, dopée aux arômes artificiels. Célébrer le foisonnement de la matière vivante : un désir que Blazy a rarement rendu aussi contagieux et cohérent qu’au Plateau de Belleville, où il se penche sur la question de l’alimentation.
Dans ce « grand restaurant » en forme d'écosystème, l’artiste s’efface presque totalement : ce sont les fourmis qui font disparaître les miettes des « tables autonettoyantes » ; les escargots qui se chargent de revisiter l’action painting de Jackson Pollock, en faisant traîner des sillons de bave sur de la moquette enduite de bière ; les morsures des souris qui modèlent les formes des « monochromes » en chocolat. Le public est même invité à boire du jus d’orange pour construire des montagnes de pelures qui roupillent sur des étagères, condamnées à se dessécher, virer au marron et s’emmitoufler dans des couches de mousse blanchâtre. Le temps, le végétal, l’animal et le public s’affairent ainsi dans les cuisines, comme pour se réjouir des cycles incertains de cette nature artistiquement modifiée. Pour finir, on entre dans un immense cocon en coton, une grotte tapissée de molleton blanc, sur laquelle poussent des germes de lentilles. Recouverte d'épis vert vif, c'est un peu l'origine du monde sous acides euphorisants : le parfait digestif pour clore ce parcours aux saveurs contradictoires. Entre plaisir enfantin, contemplation et bave de gastéropode.
> Horaires : du mercredi au vendredi de 14h à 19h ; le samedi et le dimanche de midi à 20h
> A lire aussi :
> La critique de l'expo de Blazy aux Bernardins, printemps 2012
> La critique de l'expo de Blazy à la galerie Art:Concept, printemps 2012
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