Visiter l’exposition de l'artiste argentine Mika Rottenberg au Palais de Tokyo, c’est mettre un pied en Absurdie, voire les deux. Un monde ubuesque qui, comme pour souligner que celui qu’il dénonce tourne en rond, s’avère hanté par la forme sphérique. Des boules de bingo à la pleine-lune, du cendrier à la femme bien en chair, en passant par la goutte d’eau tombant au centre d’une poêle, faisant naître un « écosystème apocalyptique » dans un concert de « tsss » et de « plop », l’arrondi est roi. De cette douceur dans la rondeur découle une vision bienveillante qui rendrait presque tendre le propos profondément mordant de la plasticienne.
Pas de folie sans fond
Si quelques artistes se laissent aller à leurs délires artistiques en tentant ensuite d’y accoler un semblant de pertinence, Mika Rottenberg prend le chemin inverse. Elle, a mis son œuvre au service d’un message clair dont l’humain est au cœur. Comme ça, l’air de rien, l’artiste dénonce le corps marchandisé, « fragmenté ». A l’image d’un produit assemblé à la chaîne arrivant sur les tapis de montage en morceaux. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que Mika Rottenberg a fait des ouvrières, surexploitées ou employées pour des travaux peu gratifiants, ses porte-paroles muets. En témoignent cette femme obligée d’éternuer toute la journée car, à chaque spasme, une assiette garnie sort de son nez. Ces trieuses de perles écartant les billes de nacre irrégulières avec la rapidité d’un mathématicien faisant courir ses doigts sur un boulier. Ou encore ce peep-show kaléidoscopique à épier à travers une bouche pulpeuse incrustée dans le mur.
Burlesques et hypnotiques, ces œuvres pourraient être dérangeantes – malsaines, diront les petites natures – si Mika Rottenberg n’avait su y glisser une part de fantaisie, presque de magie, tranchant subtilement avec son ironie crue. En émane ainsi un sentiment étrange et diffus où le trouble le dispute intelligemment à la réflexion. Nos certitudes bousculées par ce grain de sage folie, nous voilà évacués avec force mais sans violence de notre zone de confort. Alors on ressort de l’exposition les yeux un peu plus écarquillés. Prêts à jeter un nouveau regard sur une Absurdie tristement bien réelle cette fois.
Mika Rottenberg fait partie de notre sélection des meilleures expositions à Paris et des expositions de l'été.