Décidément, le textile a le vent en poupe à Paris. Alors que la Japonaise Chiharu Shiota tisse ses toiles rouges du côté du Grand Palais, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, c’est la pionnière du “fiber art” Olga de Amaral qui expose ses créations XXL. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à 92 ans, la Colombienne en a encore sous la pédale du rouet.
Dans une magnifique scénographie conçue par l’architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh, l’écrin de verre du 14e arrondissement se transforme en un petit bout d’Amérique du Sud, aussi minéral que sinueux, pour mettre à l’honneur près de 90 travaux de l’artiste, dont certains n’avaient jamais quitté le sol colombien. Une rétrospective à la hauteur de l’impact d’Olga de Amaral, qui n’a cessé de repousser les limites du médium textile depuis les années 1960 en s’inspirant des paysages impressionnistes de Monet ou des brumes de Turner, s’imposant rapidement comme une figure incontournable de la scène plastique contemporaine.
Dialoguant avec les feuilles mortes du jardin de la Fondation, les tapisseries monumentales réalisées à partir de laine, de lin ou de crin de cheval se parent de jaunes, de rouges et d’ocre, prolongeant un peu le kif de l’automne. Les immenses Farallón al ocaso (1972), Paisaje de calicanto y rocas (1981) et Muro en rojos (1982), merveilleusement superposés au milieu des rochers, ou l’impressionnant ensemble Brumas (2014-2018), annoncent la couleur : ici, on se tait, on admire et on s’essaie même à un petit exercice d’introspection.
Une saisissante invitation – plutôt qu’une injonction – au silence, qui s’impose presque naturellement, comme par respect pour les heures passées par Olga de Amaral à tisser. On retrouve cette dimension quasi spirituelle au sous-sol – souvent moins bien exploité à la Fondation –, qui prend ici des airs de temple grâce à l’exposition de linceuls cérémoniaux ou d’œuvres de la série des Estelas, ces stèles de coton rigide enduites de gesso et recouvertes de feuilles d’or, semblables à de petits monuments funéraires. Un instant hors du temps qui fait franchement du bien dans une ville aussi speed que la nôtre.