Critique

Paul Klee : L'Ironie à l'oeuvre

5 sur 5 étoiles
  • Art, Peinture
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Time Out dit

Quarante ans de carrière, autant de styles différents déployés comme des révérences amusées aux courants artistiques de son temps. Ni cubiste, ni constructiviste, ni surréaliste, Paul Klee (1879-1940) dialogue avec la palette vibrante du peintre français Robert Delaunay comme avec la stricte géométrie du Bauhaus, guidé par une quête inlassable d’équilibre entre forme et couleur. Le prix de cette quête : une constante mise en doute du travail de ses contemporains comme de ses propres élans. Première rétrospective française de l’artiste allemand depuis 1969, l’exposition présentée au Centre Pompidou prend pour thème cette éternelle distance doucement moqueuse, ce réflexe ironique qui fait de Paul Klee l’un des artistes les plus fascinants du XXe siècle.

Tout commence par le choc de la rencontre avec Rome en 1902. Face aux splendeurs de la Ville éternelle, le jeune dessinateur craint d’être condamné à ne pouvoir qu’imiter les perfections antiques. De là naît l’élan d’un contrepied sans retour – Klee choisit la caricature, où sa main assurée fait bientôt merveille. Une gravure de 1903 montre ainsi deux personnages nus s’inclinant l’un devant l’autre, jambes arquées, torses difformes, visages grimaçants : l’un serait l’empereur Guillaume II, l’autre François-Joseph d’Autriche. Quelques pas plus loin dans les salles du musée se tiennent des marionnettes grotesques représentant un Poète couronné, un Nationaliste allemand, ainsi que la Mort (dont le visage pâle aux yeux vides pourrait bien avoir inspiré le Monsieur Jack de Tim Burton).  

La moquerie franche s’arrête pourtant là. La suite de l’exposition présente un univers tour à tour fantaisiste, burlesque, géométrique, musical, où l’adoption distancée de nombreuses techniques remplace la satire juvénile. Un voyage en Tunisie provoque la rencontre avec la couleur : des touches de tons pastels délicatement posées à l’aquarelle figurent un paysage tunisien postimpressionniste ('Saint-Germain', 1914). De brusques éclats de couleurs vives composent un 'Gothique joyeux' inspiré de Delaunay. Un forgeron déstructuré d’inspiration cubiste pose en ton pâle sur fond ocre ('KN le forgeron', 1922). L’école constructiviste du Bauhaus, où Klee enseigne la composition pendant plusieurs années, engendre des peintures toutes en angles droits : 'Harmonie de la flore nordique' (1927) montre une composition de carrés colorés où la moindre teinte prend une place précise dans la structure totale. Merveilleux ensemble où chaque toile révèle une nouvelle facette d’un diamant taillé à l’infini.

Le pas est franchi, la satire s’est changée en cette « ironie romantique » inspirée du poète Schlegel. C’est à dire une forme de liberté par laquelle il cherche à s’élever contre la pratique courante, pour s’auto-affirmer paradoxalement dans une inlassable destruction des croyances, y compris les siennes propres. Paul Klee regarde, absorbe, transforme, marquant de sa propre patte sans s’arrêter dans aucune école, cherchant toujours, selon ses propres mots, « la faille dans le système ».

Comme chez Matisse ou Braque, la vieillesse et la maladie le mènent doucement à l’essentiel. Son œuvre culmine en une pureté presque primitive des lignes et des couleurs  – dont lui-même dit pourtant qu’elles constituent « la forme la plus simple », c’est-à-dire l’opposé de primitif. Quarante ans de travail dialectique à travers reliefs et couleurs ont ainsi été nécessaires pour obtenir la puissance de 'Insula dulcamara' (1938), ou « Ile douce-amère » : un paysage de courbes noires figurant un homme aux prises avec son destin figuré par un serpent. Sur fond rose tendre. Ironie toujours.

Infos

Site Web de l'événement
www.centrepompidou.fr
Adresse
Prix
14 €
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