Dans une vidéo, le sculpteur suisse Giacometti raconte à Stravinsky sa rencontre avec Picasso en 1931. « Il m’étonne comme un monstre » se souvient-il. En effet, avant d’être son compagnon de table, le roi du cubisme, de vingt ans son aîné, a longtemps été un modèle d’apprentissage pour lui, comme en témoignent plusieurs de ses croquis et carnets dans l’exposition. Et si, plus tard, l’élève ne dépasse pas le maître, c’est qu’il fait « autre chose ». Giacometti devient à son tour connu et reconnu, mais moins pour ses œuvres picturales que pour ses silhouettes de bronze grumeleuses et élancées.
Alerte : le combat des géants est annulé
L’exposition délimite ainsi des espaces thématiques dans lesquels sculptures, peintures et dessins sont voués à se répondre et à fraterniser pour témoigner de l’affection qui liait les deux artistes. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » ? Pas vraiment. De leur rapport à la sculpture jusqu’à leurs multiples représentations de l’amour et de la violence (Eros et Thanatos, un couple inséparable, lui) en passant par la présence animale et l’influence des cultures lointaines sur leur travail… Tout y passe ! Ou plutôt tout aurait bien pu y passer sans qu’on ne soit jamais convaincu par la nécessité de ces choix comparatifs. En outre, l’œuvre qu’a laissée Picasso à la postérité est prolifique et n’a épargné aucun sujet de son temps – elle avale le monde. C’est ce qui rend l’absence de points de tension d’autant plus apparente.
Etoiles alignées
Malgré tout, certaines rencontres heureuses montrent que la collision esthétique des deux œuvres, lorsqu’elle a lieu, s’avère fertile et réjouissante. La statuette de Giacometti, ’Homme (Apollon)’, branchage devenu totem aux larges épaules et qui a tout d’un personnage-bibliothèque, suscite la même curiosité que la ‘Figure’ de Picasso qui se trouve à ses côtés, sorte de brindille mécanique ou de bicyclette humaine... De même, la juxtaposition de ‘La femme qui marche I’ et du ‘Grand Nu au fauteuil rouge’, comme celle de la ‘Fleur en danger’ et de la ‘Boule suspendue’ étonne et questionne.
De l'amitié des monstres
En ce sens, l’exposition permet de redécouvrir des œuvres aux confins d’autres vies, de revendiquer l’altérité inhérente à une esthétique plutôt que son autarcie – et, finalement, de se défaire de l’illusion autoréférentielle. Les corps déformés, tantôt ondulants, tantôt rigides, que nous donnent à voir Picasso et Giacometti se fondent et se tordent les uns les autres en un spectacle de formes qui déteint sur notre imaginaire. En quittant le musée, le monde nous paraît même un poil Giacomasso, un peu Picassetti.
Cette exposition fait partie de notre sélection des meilleures expositions à Paris