Balade à travers les blocs qui structurent la géographie des villes américaines, la photographie de Ray Metzker redessine les contours d'un parcours où le dédale des rues rectilignes s'apprivoise autrement. Dans une marche visuelle et sensible, il s’explore en faisant ainsi advenir une poésie inattendue dans le tracé a priori sans surprise de cet urbanisme parfaitement maîtrisé.
Fulgurance de la lumière dans les rues américaines
Dans un noir et blanc tranché qui cisèle la lumière en lui redonnant toute la plénitude de sa matière, les clichés de Ray Metzker plongent dans l'obscurité des villes en plein jour. Au détour d'un angle de rue, un puissant rayon perce alors une brèche dans le paysage saturé des buildings tout en renforçant les ténèbres de leurs ombres portées alentour. Ses images, d'une précision incroyable, allient contemplation urbaine et regard perçant. Leur noir et blanc profond, où le noir retrouve la texture du pétrole et le blanc celle de la clarté, rend éclatants les contrastes que brasse une ville. Les sujets mis au jour semblent tout à coup sortir de l'ombre, existant dans leur simple passage de l'obscur au clair. Documentaire esthétiquement bâti, l’art photographique de Ray Metzker cherche avant tout à dévoiler certains éléments du réel au seul moyen de son appareil, capteur de corps porteurs d'une lumière qu'ils renvoient.
Jeux abstraits
L’exposition ‘Abstractions’ mêle habilement des clichés de Ray Metzker qui font surgir du noir au blanc des corps habitant un espace moderne, - celui de la ville des années soixante - à d’autres plus formels, qui jouent avec les techniques photographiques encore expérimentales pour l’époque (surimpressions, double exposition, collages, montages, juxtapositions, etc.). Pendant plus de cinquante ans, guidé par sa seule intuition, il ne cessa en effet d'inventer des manières de donner à voir. Dans sa chambre noire, l’artiste travaillait sur ses négatifs comme sur une matière flexible, en surexposant certaines parties ou en en occultant d'autres.
Ce travail d'orfèvre, minutieux et malicieux, apporte trouble et joie d'être troublé. Décalant à peine la réalité, Ray Metzker ne fait qu'en exacerber certains aspects : les immeubles ont l'air de se démultiplier à l'infini dans un ciel mangé par leurs tours, les silhouettes des mannequins de vitrine ont l'air de se mêler à la foule des passants indifférents à leurs poses mercantiles, l'eau des caniveaux souillée et impure pour tous prend des allures divines… Clin d'œil amusé des astuces invisibles de la ville ou vision géniale des ressorts de l'imaginaire urbain, le travail de Ray Metzker déploie un art du regard tout à fait particulier.
Une expo de maître
Emblématiques de la photographie des années soixante, les clichés de Ray Metzker témoignent autant de leur temps que de l'originalité du photographe. Cette exposition, riche d'une trentaine de tirages originaux, rend compte de ce souffle moderne et expérimental qui était celui de Ray Metzker. Fenêtres sur un monde et porteuses de la trace d'une main de maître, ces photos ouvrent un superbe espace de liberté qui nous embarque dans la profondeur de leur matière, nous invitant à nous attarder jusque dans le plus noir de leurs recoins où il y a toujours quelque chose à voir, à découvrir.
Avec une note record de 5 étoiles sur 5, l'exposition de Ray Metzker méritait bien de figurer dans nos dossiers des meilleures expositions de Paris, mais aussi nos expos gratuites et nos expos photos préférées.