En parallèle de son cycle prolongé Morsure des termites, le Palais de Tokyo lance sa nouvelle saison avec une double dose de Lili Reynaud-Dewar. La Rochelaise, plasticienne multitalent (elle danse, elle investigue, elle enseigne), squatte tout le premier étage de l’institution sur un format deux expos deux ambiances. Légèrement dissimulée, la première – en accès libre – présente un projet collaboratif mené par l’artiste avec ses étudiants de l’HEAD Genève. Entre nous, heureusement que l’espace est gratuit car il comprend 19 heures de film inspirées du livre Pétrole de Pier Paolo Pasolini. Autant dire qu’il est carrément impossible de s’enfiler tous les épisodes d’une traite. Dans une reconstitution de différents décors de ce (très) long métrage, on découvre en 4K les réflexions du groupe sur l’écologisme, le féminisme ou les différentes dynamiques de pouvoir… Un premier pas dans l’univers de Lili Reynaud-Dewar à l’allure d’introduction à son solo show.
Plus axé sur la notion d’intimité et déconstruisant son processus créatif dans une sorte d’Inception, Salut, je m'appelle Lili et nous sommes plusieurs se découvre en trois temps. Tout d’abord, le spectateur serpente entre une dizaine de lits surplombés d’écrans où des hommes (ou personnes s'identifiant comme tels) parlent de la construction de leur identité, de leur rapport à la propriété, au sexe, calés sur le pieu d’hôtels parisiens, ici reproduits en trois dimensions. Pour ceux que les punaises n’effraient pas, sachez que rien ne vous interdit de vous poser, à votre tour, sur les matelas rembourrés pour écouter les confessions des amis de Lili, qui adopte ici une position ambigüe entre voyeurisme et critique sociale.
La suite ? Des vidéos montrent la plasticienne dansant nue dans les expositions emblématiques du Palais, façon Arte à 5h du mat. Une façon pour elle de se réapproprier son corps et d’interroger la fonction de l’artiste dans un espace qui, lui, déteste les corps en mouvement. Enfin, le troisième volet de cet ensemble consacré à l’intime réside dans la présentation en très grand format des pages du journal de Reynaud-Dewar qui réalise un geste iconoclaste en divulguant des pensées destinées à rester secrètes. Si les panneaux sont XXL, les mots sont écrits en tout petit. Dans un monde où l’effort ne doit jamais se faire ressentir, combien seront-ils à vraiment lire les pensées profondes de l’artiste ?
Cette œuvre cristallise à elle seule tout l’activisme de l’artiste, qui fait voler en éclats la honte autour de la confession, intrinsèquement patriarcale. Dans une sorte de performance à grande échelle, la carte blanche laissée à Lili Reynaud-Dewar repousse les limites de l’exposition classique, et assoit, une fois de plus, son statut de grande plasticienne contemporaine.