En se baladant au Grand Palais, dans l’exposition consacrée au maître de la photographie africaine Seydou Keïta, on croirait presque distinguer sa voix. Peut-être est-ce juste l’écho sonore du documentaire vidéo, logé au fond du musée, qui nous relate le mode opératoire du portraitiste ? Ou simplement les directives de l’artiste qu’on imagine si aisément, tant il semble parfaitement guider ses modèles ? « Croise tes bras. Lève la tête. » Chez Keïta, chaque détail compte, chaque regard, chaque geste, chaque posture. Pour s’en convaincre, il suffit d’admirer cette vieille dame en tenue traditionnelle africaine, allongée telle une sirène, deux doigts venant gracieusement soutenir sa tête. Si les poses semblent naturelles, ce sont en effet elles qui esquissent le mouvement d’ensemble. Sa virtuosité couplée à la précision du cadrage, à sa sensibilité et à la beauté esthétique des clichés, en noir et blanc, en fait un grand artiste.
Pourtant, rien ne prédestinait Seydou Keïta à un tel avenir. Né en 1921 à Bamako, il sèche les bancs de l'école à 7 ans pour suivre une formation de menuiserie auprès de son père et de son oncle. Un jour, ce dernier lui offre un mini Kodak Brownie Flash. La suite, on la connaît : l’autodidacte lance son studio en 1948 et voit défiler des milliers de têtes devant son objectif. « Le tout-Bamako venait se faire photographier chez moi : des fonctionnaires, des commerçants, des politiciens. » Avec chacun d’eux, il est habité par la même préoccupation, celle de les rendre les plus beaux possibles. La rétrospective de trois cents images datant de 1948 à 1962, en 13 x 18 pour la plupart, nous donne une part de réponse. Avec ses photographies en une prise, en lumière naturelle, Seydou Keïta offre un barnum d’accessoires à ses sujets, des clients avant tout. Chapeaux, costumes, lunettes de soleil, scooter ou voitures habitent la mise en scène alors qu’un tissu décoratif esthétise l’arrière-plan. Surtout, Keïta abandonne la pose colonialiste de l’époque, frontale, pour proposer des portraits pris de trois-quarts, visant à sublimer les gens.
Malgré une scénographie a minima, la diversité se limitant principalement à une variation du format des photos, l’exposition et son parcours chronologique nous révèlent beaucoup sur la mémoire de l’époque africaine et l’identité du continent. Au-delà de sa flagrante modernité, Seydou Keïta s’inscrit donc dans la dimension universelle des portraitistes les plus historiques. Alors nulle excuse pour ne pas se plonger dans ses œuvres, criantes de vivacité.