Chez Sophie Calle, l’art et la vie, la vraie, sont toujours étroitement liés. L’un ne va jamais sans l’autre. Si la forme de l’œuvre varie – textes, photos, films, installations... – la matière reste la même : c’est l’intimité, la sienne ou celle des autres, qui cimente ses créations. Après avoir exposé les photos de son « faux mariage » avec son vrai compagnon, après avoir fait analyser par une centaine de femmes (chanteuses, psy, criminologues…) la lettre de rupture que lui avait envoyée son ex et après avoir réalisé une installation grinçante sur le décès de sa mère (exposée aux Rencontres d’Arles l’été dernier), c'est la vie des autres que Sophie Calle exhibe, cette fois-ci, à la galerie Emmanuel Perrotin.
Intitulée 'Pour la dernière et pour la première fois', l’exposition invite le public à (re)découvrir des extraits de deux séries : l’une, filmée sur la côte turque en 2011, regroupe des portraits vidéo d’individus observant la mer « pour la première fois ». L’autre, qui date de 2010, est composée de portraits photo d’aveugles (turcs, eux aussi), auprès desquels sont accrochés des témoignages écrits du dernier souvenir visible que chacun a gardé en mémoire (« pour la dernière fois », donc). Autant de tronçons d’existences captés par Sophie Calle avec la sensibilité qu’on lui connaît – sobre, puissante, elliptique et magnifiée par la répétition – qui, ensemble, forment une mosaïque teintée de tragique. Peut-être même un peu trop.
Car un fossé sépare la Sophie Calle qui affiche ses expériences intimes de celle qui met à nu les moments forts de la vie d’inconnus. On la sent, paradoxalement, davantage pudique, et beaucoup plus subtile lorsqu’elle étale et décortique ses secrets, ses ébats amoureux ou ses deuils, que lorsqu’elle sonde ses modèles. Si l’artiste maîtrise à la perfection l’art de l’autoanalyse, du dédoublement, de l’exhibitionnisme, jonglant entre réalité et artifice au point de devenir son œuvre (on pense encore à cette superbe exposition 'Prenez soin de vous' présentée à la Biennale de Venise en 2007, où l'artiste confiait sa vie amoureuse à 107 femmes), ici, son point de vue s’étrique jusqu’à friser un premier degré pataud. L’ensemble paraît touchant mais facile, appliqué mais dépourvu de finesse et de toutes ces couches de sens qui font habituellement la richesse de son expression. Autrement dit, on préfère la Sophie Calle qui donne à celle qui reçoit.
Time Out dit
Infos
Discover Time Out original video