Incursion dans les plaines urbaines, errance percutante dans la désolation au bitume gris et aux visages fixes, aux regards troubles mais droits, aux joues écarlates de brise glaciale et aux lèvres à mégots mouillés. Voilà les paysages qu'explore l'œil de Stéphane Duroy, à la recherche d'un continent européen désolé, abandonné mais encore parsemé de quelques hommes. Des marginaux, survivants d'une économie intransigeante, capricieuse et cruelle, en quête des bribes de leur vie disloquée.
Des paysages comme décors
De ces hommes à leur décor, les photos de Stéphane Duroy captent la résurgence d'un certain mode de vie en même temps que son délitement. Des pintes noires de Guinness aux étendues blanches d'espace inoccupé, elles sont l'image de cette Europe silencieuse, fatiguée et lasse. D'une grande maîtrise visuelle, ses clichés percutent l'œil et nous mettent face à la brutalité de la réalité. D'un seul coup, on passe du statut de visiteur de musée à celui de témoin impuissant, saisi dans la contemporanéité même de son impuissance.
Tentative d'épuisement d'un livre
Après la première rencontre avec les images frontales mais diaboliquement belles de ce continent presque suspendu, on plonge au sous-sol de l'exposition. Et tout prend alors sens. Au-delà de l'impact sensible, instinctif et primairement politique et social de ses photos, Stéphane Duroy poursuit le désir de les traiter comme des objets, de dépasser non seulement leur implication historique mais aussi leur position de fétiche presque sacré. L'exil est permanent, le travail continu. Rien n'est figé, rien n'est fini, même pas une image.
Après la publication de son livre ‘Unknown’ en 2007, le photographe en a conservé vingt exemplaires pour se réapproprier son propre travail. Il écrit et peint à même les pages, réinvente le sens de ses clichés selon le contexte, réagit au monde tel qu'il évolue sur celui qu'il a observé. Ainsi, la double page qui montre des mobil-homes, cet habitat qui incarne tant le rêve de liberté que la précarité sociale, est tantôt marquée au fer rouge des mots « subprime », « hobo home » ou entièrement recouverte de noir. Après avoir capturé des images emblématiques de ce monde, Stéphane Duroy les adapte au climat dans lequel il les convoque à nouveau. D'une grande force, cette tentative d'épuisement des images porte la marque de l'engagement de l'artiste qui, jamais, ne laisse ses photos au repos.
Again and again
Pris dans un mouvement perpétuel, qui est en fait le nôtre, le travail de Stéphane Duroy rend compte de l'oublié et de l'inoubliable, de l'exil et de l'impossible départ, du déracinement et de l'ancrage. Sa démarche, tant artistique qu'intellectuelle, rend sensible le rapport invisible mais déterminant de l'homme à son histoire et aux événements.
Même si l'on aimerait en voir plus, tant ces instantanés sont évocateurs d'une époque et d'un regard, l'exposition du BAL, avec son parti-pris de privilégier le travail d'intervention plastique de Stéphane Duroy au détriment de travail à proprement parler de photographe, est riche d'enseignements et de réflexions quant au statut des images.
Retrouvez la crème de la crème des expositions à Paris mais aussi les autres meilleures expos photo, celles qui sortent des clichés.