Le Centre Pompidou n’a plus que quelques mois pour marquer les esprits avant sa grande fermeture pour cinq ans de travaux courant 2025. Et quoi de plus percutant que d’exhumer l’une des avant-gardes françaises les plus radicales de l’histoire de l’art ? Plus de vingt ans après sa dernière rétro sur le surréalisme, le musée s’adapte à son époque et ne se limite pas à la célébration d’un boys club pour une rétrospective plus inclusive. L’expo rassemble les œuvres iconiques de Dalí, Ernst ou Magritte, mais aussi d’autres, plus confidentielles, d’artistes féminines telles Eileen Agar, Remedios Varo ou Suzanne Van Damme. Une révision bienvenue sur le papier, mais qu’en est-il une fois la « porte de l’Enfer » franchie ?
Gueule monstrueuse qui tire son nom de l’ancien QG des surréalistes sur le boulevard de Clichy, cette « porte » qui accueille les visiteurs rend hommage au goût des maîtres du rêve pour le burlesque et annonce une scénographie bien plus vivante que celles auxquelles le musée nous avait habitués ces dernières années. Une fois franchie, le visiteur est accueilli par la voix d’André Breton, recréée par IA, dans une salle ronde où trône la Bible du mouvement : le célèbre Manifeste du surréalisme d’André Breton (1924).
Généreusement prêtés par la BNF, les 21 feuillets sont le pivot d’un parcours thématique déployé en étoile à sept branches autour de ce centre névralgique. Clin d'œil malin à l’Étoile scellée, la galerie de Breton dans les années 1950, cette disposition bouleverse l’expérience muséale classique et tire, par sa simple forme, une révérence subtile aux surréalistes. Un dédale à la Lewis Carroll où l'on s’immerge avec plaisir dans un univers aussi singulier que ses représentants, entre rêve, cosmos et santé mentale.
Le vaste corpus de 350 œuvres (dessins, tableaux, sculptures, installations et écrits en tous genres) réjouira les connaisseurs, enchantés de dénicher des œuvres tombées des livres d’histoire, comme les néophytes, qui profiteront d’un commissariat clair et finement mené pour plonger dans le mouvement. L’occasion notamment de capturer l’incontournable Valeurs personnelles de Magritte, chef-d'œuvre du musée de San Francisco rarement visible hors de Californie. Ultra-ambitieuse, l’exposition réussit le pari de créer l’événement autour d’un sujet pourtant surexploité par les institutions du monde entier. Croyez-nous, ça va marquer.