Franchir le seuil de la Galerie 42b s’apparente à poser le pied sur la Lune. Entre les murs blancs du lieu plane en effet une énergie flottante. Une sorte de sereine apesanteur émanent des toiles du duo Ratur & Sckaro, qui fait l’objet d’une première exposition d’ampleur à Paris.
Chaos onirique
Des scènes géométriques et pixelisées de Ratur aux horizons plus courbes et morcelés de Sckaro, le travail des deux frères havrais touche les cimes et donne le vertige, au propre comme au figuré. Distordant l'espace et déconstruisant les perspectives à la manière d’Etienne Sandorfi, Ratur & Sckaro nous immergent dans un songe surréaliste que Dalí ou Magritte n’auraient pas renié.
Dans des autoportraits et portraits de leurs proches – œuvres intimes et personnelles mais cependant extrêmement pudiques puisqu’aucun visage ne se dévoile – le quotidien est extrait de son contexte rationnel. Un peintre se suspend ainsi dans le vide bétonné d’une cage d’ascenseur. Un homme sortant du lit remonte (ou redescend suivant l’angle) une échelle de draps. Un couple cherche à s’enlacer, tourbillonnant en lévitation et ne touchant plus terre, la faute au « vertige de l’amour ». Et une main déique surgit d’un ciel sens dessus-dessous, comme si l’éther était la mer et ses nuages, l’écume. De quoi leurrer notre interprétation du visible.
Pas empirique pour autant
Malgré ces perceptions du réel bouleversées, les corps représentés, eux, jouissent d’un naturalisme exacerbé, savamment étudié. Car ce n’est pas parce que le sujet s’avère traiter comme une rêverie qu’il faut tricher avec l’anatomie, semble exprimer ces tableaux. Ce qui les rend, paradoxalement, si vivants et vraisemblables de leur improbabilité.
Pour preuve : afin de rendre le plus fidèlement possible la position de sa compagne, assise sur un plongeoir sous le soleil californien, Ratur n’a pas hésité à la faire poser sur une planche à repasser. Les muscles en tension, les mains (motif récurrent dans les tableaux de l’artiste) agrippées, veinées et presqu’en 3D : l’exactitude du physique pris pour modèle est époustouflante et révélatrice d’une technique parfaitement maîtrisée.
Technique et transcendance
La véracité des détails et la transparence des aplats nacrés ou plus appuyés de Ratur & Sckaro – de quoi rappeler les œuvres de Denis Fremond et les patchworks de René Monory – traduisent l’expérience d’un savoir-faire des deux frères. De même que leur utilisation sans tâche de la peinture à l’huile et leur aptitude à peindre des situations pouvant se regarder dans n’importe quel sens, et sans perdre ce dernier. Mais le plus significatif de cette habileté artistique demeure toutefois ‘Lost in Translation’, diptyque complémentaire où le tandem s’amuse à interchanger son style. On le croirait exécuté à quatre mains ? Perdu ! Chacun a réalisé sa partie seul dans son atelier, sans plus de concertation qu’une incroyable et mystérieuse symbiose fraternelle. Tout simplement bluffant.
Alors laissez vous plonger en toute confiance dans l’univers singulier de Vertigo : la virtuosité de Ratur & Sckaro est telle que vous n’avez aucun risque de tomber de haut.
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