Faire d’une collection personnelle une exposition thématique peut sembler risqué, tant la frontière entre la mise en avant de ses coups de cœur artistiques et l’éloge de soi s’avère ténue. Mais agnès b. – styliste, galeriste, fondatrice du périodique Point d’ironie, artiste engagée, militante et surtout femme savante – multiplie si habilement les genres, les styles et les médiums que l’on ne sent pas poindre son nom (ou plutôt son initiale) derrière son abondante sélection. Une soixantaine de pièces, entrant en résonnance avec une poignée d’œuvres issues des fonds du musée de l’Histoire de l’Immigration, qui ne constituent cependant qu’un échantillon sur les deux mille que compte son « art-senal » particulier.
L’imbrication de nos petites histoires dans la grande Histoire
Mais pourquoi agnès b. sort-elle des galeries – et notamment la Galerie du Jour, la sienne – pour investir l’espace muséal de la Porte Dorée ? Pour la simple et bonne raison que l’exposition ‘Vivre !!’, échafaudée sous le commissariat du directeur des rencontres photographiques d’Arles Sam Stourdzé, déroule la vie des Hommes, qui qu’ils soient et d’où qu’ils viennent.
Pas à pas, on suit donc le fil d’une destinée – la nôtre ? Celle de notre voisin ? Qu’importe ! – en onze étapes, de la jeunesse à la mort. Entre, on fait face à la joie de ‘Dansez !’ mis en regard avec ‘L’Amour’ (où la tendresse le dispute à l’érotisme), au questionnement ‘Qui est-on ?’, à la problématique ‘Habiter’ mais aussi à la ‘Révolte’ qui précède la ‘Guerre’. Après la légèreté des plaisirs enfantins et les portraits adolescents de Claudine Doury et Roger Ballen vient ainsi le temps du travail, préfiguré par l’injonction sur un mur brut « Ne travaillez pas » de Rirkrit Tiravanija. Ou la file devant les Assedic du peintre pop-contemporain Chéri Samba, dont les tableaux kitsch et fluo accentuent la dramatique ironie de ses sujets.
Un melting-pot de créations qui s’enchaînent avec fluidité, nous faisant passer d’une exaltation à l’autre sans jamais décrocher. A l’image des montagnes russes émotionnelles que peut nous faire vivre la vie : la boucle est bouclée.
Une exposition à taille humaine
Ce qui fait la force de ‘Vivre !!’ réside également dans sa pluralité, sa diversité, son amplitude générationnelle et son humilité. Couvrant une ère artistique allant des années 1930 à 2010, elle associe des virtuoses de renom (Andy Warhol, Henri Cartier-Bresson, Man Ray, Brassaï ou Basquiat) à une scène artistique moins connue mais tout aussi talentueuse. Que ce soit Mona Hatoum avec sa tapisserie mappemonde, Bodys Isek Kingelez et la maquette ‘Medicaments City’, ou encore Kader Attia et sa ‘Machine à rêves’ (un distributeur mêlant plaisirs futiles et besoins nécessaires comme un passeport, une boîte de préservatifs, un manuel pour perdre son accent ou une pochette Haute Couture), tous excellent dans la franche illustration de ce qu’ils côtoient tous les jours : le quotidien.
‘Vivre !!’ – avec deux points d’exclamation pour accentuer l’enthousiasme d’agnès b. – exhorte donc chacun à éprouver ardemment l’instant présent. Et surtout à écrire sa vie pour en faire une œuvre d’art, la puissance des mots ayant une portée souvent plus forte que les images (on pense ici à l’interrogation manuscrite de l’Abbé Pierre ‘Et les autres ?’ ou le ‘Tu dors T. mort’ sur une copie de Bac par Anastasia Bolchakova). Alors même qu’aucun cartel explicatif n’accompagne les toiles et installations présentées. Ainsi, on se sent comme ranimé au sortir de cette exposition, pris d’une furieuse envie d’exister. Peut-être à cause du signal lumineux ‘Exit’ mué en ‘Exist’...
Cette exposition fait partie de notre sélection des meilleures expositions à Paris