Rejeton spirituel de Walker Evans et Man Ray, Weegee fait aujourd’hui l’objet d’une maousse rétrospective à la Fondation Henri Cartier-Bresson, qui dévoile une pratique protéiforme et bien plus politique qu’on ne veut le croire. Né en Ukraine sous le nom d’Asher Fellig, il débarque aux Etats-Unis en 1910 à l’âge de 10 ans, dans le quartier pauvre du Lower East Side à New York, comme beaucoup d’immigrés juifs de l’époque. La conscience de sa classe sociale d’origine ne le quittera jamais, si bien qu’il se dirige assez naturellement vers la photographie de terrain, loin du strass et des paillettes. Ses premières prises de vues ? Il les prend la nuit, cigare au bec, pour le compte d’une agence de presse qui salue assez vite son goût pour le sang. Weegee est prêt à tout pour décrocher la photo la plus sensationnelle, l’image choc : cadavres de gangsters, crashs routiers, crimes sanglants… Rien ne le repousse.
Mais à force de sensationnel, le serial photographer se lasse et tourne doucement son objectif vers les spectateurs choqués face à ces macchabées, commençant ainsi à dresser le portrait social du New York des bas-fonds. Un petit côté voyeur se dessine au passage, qui ne fera que s’accentuer après la guerre, lorsqu’il part à Hollywood opérer un virage à 180 degrés. La misère sociale fait peu à peu place à une critique de la société du spectacle et ses photos people se font de plus en plus caricaturales, utilisant des astuces de labo pour déformer avec brio les visages des célébrités. Dans une scéno aussi froide que les corps inertes et les sourires des mondaines californiennes qu’il photographie, on découvre un corpus à première vue décousu, qui forme peu à peu un tout assez logique grâce à un commissariat quasi cinématographique. Un travail bien mené qui nous permet, peut-être pour la première fois, de percer l’énigme Weegee.