Lancée par Time Out Paris et le programme Bar World of Tomorrow, la série “Bar de demain” met en valeur les initiatives de celles et ceux qui rendent les bars plus inclusifs, plus écologiques et plus responsables. Pour ce nouvel épisode, on s’est demandé comment protéger les équipes et assurer leur bien-être, dans un milieu particulièrement touché par le turnover.
Team spirit(ueux) ! Alors que le secteur peine à recruter depuis la crise sanitaire et qu’il est l’un des plus touchés par le turnover, certains bars à cocktails ont pris des initiatives pour fidéliser… leurs employés ! Un défi de taille dans le game du cocktail parisien, où les lieux, toujours plus nombreux, se livrent à un mercato acharné pour embaucher et débaucher. Horaires, salaire, rapports conflictuels : il y a toujours une bonne raison d’aller voir ailleurs. Mais dans certains bars, il y a surtout de bonnes raisons de rester. On a demandé à nos bars préférés comment ils se débrouillaient pour n’attirer que les meilleurs dans leur team !
Au Cambridge Public House, bar à cocktails à l’anglaise, il n’y a eu ni démission ni licenciement depuis deux ans et demi. Un record dans le milieu, et ce n’est pas un hasard. Depuis le Covid, Hugo Gallou et Hyacinthe Lescoët, les cofondateurs, ont décidé de choyer leurs employés. “C’est surtout à partir de 2022, explique Hugo, première année rentable pour le bar, qu’on a pu mettre en place plus de choses.” Il y a d’abord toutes ces “formalités” RH, des actions basiques d’après le manager, qui restent pourtant rares dans le milieu : questionnaire de satisfaction bisannuel (les résultats du dernier ont valu au bar la note de 4,48/5 par les employés), semaine de quatre jours, team building…
Laisser la créativité s’exprimer
Mieux, le Cambridge fait en sorte d’impliquer et d’épanouir chaque bartender : “Ils participent tous à la création de la carte, qui évolue en fonction des saisons. On est dans une recherche permanente, et tous les mois, tout le monde doit créer un cocktail.” Une manière de maintenir un niveau élevé de créativité, de casser la routine et de révéler des talents : Léa Rouel, barmaid maison, a remporté deux concours majeurs du secteur depuis son arrivée, et Xenia Patros, apprentie désormais employée au bar, a gagné cette année le prix du Meilleur Apprenti de France. Que des numéros 10 dans leur team !
Une mentalité humaniste dans le management qui a des applications concrètes au-delà du bar. “On travaille beaucoup avec des assos, explique Hugo. Chaque année, on organise une soirée de Noël dont tous les bénéfices sont reversés à Un Cadeau pour la vie, qui vient en aide aux enfants malades. L’an dernier, on est tous allés distribuer les cadeaux récoltés pendant la soirée à l’hôpital Necker. C’était très marquant pour l’équipe.”
Créer du lien
Pour Hugo, ce genre d’activités extra-professionnelles qui permettent de sortir la tête du bar et de créer du lien sont essentielles : “On organise des team buildings, comme dans n’importe quelle entreprise. Dernièrement, on est partis à Beaune visiter un fournisseur.” Pour Corentin Gaudin, bar manager du Danico, la cohésion au sein de l’équipe est clé pour l’épanouissement de chacun, et ça se joue dès la phase de recrutement. Pour que la mayonnaise prenne, il s’agit de trouver des profils qui se correspondent puis, comme au Cambridge, de faire vivre l’équipe au-delà du bar. A travers des sessions de créativité collective par exemple – mais aussi en faisant la tournée des bars voisins quand leur emploi du temps le permet !
Au Dirty Lemon, bar à cocktails inclusif et queer du 11e, les activités hors les murs font aussi partie de la culture. Escape game, karaoké ou… lancer de hache permettent à l’équipe de se retrouver régulièrement loin du comptoir. Une team 100 % féminine en salle, chose rare dans le milieu du bar où les candidatures sont majoritairement masculines. Qu’à cela ne tienne : Ruba Khoury, la patronne, s’est mise à “former des jeunes femmes qui n’ont pas forcément d’expérience.” Son objectif : “Donner des opportunités à celles et ceux qui n’en ont pas.” Comme elle essaye d’embaucher principalement des femmes et personnes queers, elle s’intéresse plus aux profils qu’aux lignes sur le CV. Mais on apprend vite dans une équipe qui se serre les coudes, et qui finit par former une petite famille : “Les trois premières années, j’ai gardé la même équipe ! J’ai eu mon premier turnover l’année dernière, et ça se passe très bien.”
Du repos et de la communication
Dans un milieu aux horaires contraignants et à la pression constante, la clé pour garder ses employés en forme et impliqués est de leur offrir des plages de repos suffisantes et de la souplesse dans leurs emplois du temps. Comme le Cambridge, le Dirty Lemon et Danico misent sur des plannings de quatre jours travaillés par semaine. Pour y parvenir, le premier cité, ouvert tous les jours de la semaine, peut compter sur une grande équipe, qui ne fait que s’agrandir (ils sont sept et passent à huit en janvier). Aussi, les shifts correspondent aux horaires d’ouverture du bar (15h-01h), des plages de travail conséquentes qui ont le mérite d’éviter d’avoir à jongler entre les emplois du temps.
Au Dirty Lemon, où l’équipe est plus petite, ce sont les fermetures du bar qui permettent à tout le monde de souffler. La semaine, le bar est fermé les lundis et dimanches ; le mois d’août est entièrement chômé, comme la période des fêtes de fin d’année. Chez Danico, Corentin se creuse les méninges pour “faire en sorte que tout le monde ait au moins une fois par mois cinq à six jours off d'affilée, en collant les repos sur deux semaines. Ça permet à certains de rentrer voir leur famille ou de partir en weekend sans poser de congés”. Et les employés ont même “la possibilité de choisir quelques jours de repos en cas d’anniversaire ou autre événement important”.
Communiquer et laisser s’exprimer ses employés, c’est ainsi qu’on entretient un bon esprit d’équipe, explique Ruba du Dirty Lemon : “Je dis toujours à mes employés que ma ligne est ouverte en permanence : au moindre ennui, vous pouvez toujours venir vers moi et j’essaierai au mieux de répondre à vos besoins. D’autant que, bien que je sois la fondatrice et manager, je suis toujours sur place, et je subis la même pression. On travaille d’égale à égal !”