L’argent ne fait pas le bonheur, il fait monter les bars en hauteur. Ce pourrait être la nouvelle devise de Franck Audoux qui, en ayant vendu la marque Cravan à Moët Hennessy, a pu offrir à Paris son plus grand bar à cocktails. Le Cravan, deuxième du nom, se déploie dans un immeuble entier, quatre étages, quatre ambiances et trois comptoirs à un jet de mocassin à glands de l’église Saint-Germain-des-Prés. Dingue.
La finance n’étant plus l’ennemi, Franck Audoux, désormais DA de la marque Cravan, et le designer Ramy Fischler ont pu aller à fond sur l’idée, très dadaïste (ou debordienne), du spectacle du décor comme décor. Dès l’entrée, dans la reproduction (en moins mignonne) du Cravan Art nouveau du 16e arrondissement, le plafond de verre s’arrête à un mètre des murs ; de même dans l’escalier du XVIIe siècle, l’envers des cloisons reste en bois brut. Une conception maline de la parenthèse et du contraste.
On s’installe au 1er étage, au sein d’un cocon de chevrons chromés (évoquant le Drugstore Saint-Germain des 70’s) dans un joyeux brouhaha (la bibli du 2e et le bar du 3e sont beaucoup plus calmes) afin d’entamer d’exploration d’une carte replète : 22 cocktails dont quatre au champagne. Entame avec un brutaliste Royal Immortelle (27 € !) au Veuve Cliquot extra brut et fleur d’immortelle qui apporte une (très) subtile touche de curry à ce verre charpenté. Le Lady From Shanghai (gin à la pêche, thé au jasmin, citron vert) illustre très bien la géniale touche Audoux. Une infinie délicatesse florale dans une verrerie épurée. Mais le minimalisme ne marche pas à tous les coups : le Campagne Première (vodka infusée au citron, sirop de verveine, citron, blanc d’œuf), par exemple, s’enferme trop dans son acidité citrique.
Ancien du Chateaubriand, Franck Audoux tient à soigner les assiettes : superbes tempuras de champignons à tremper dans un toum à l’ail noir ; mini-poireaux sous un édredon de sauce mousseline, petit bol de sobas… Un régal. Pas de doute, ce Cravan souffle dans le bon sens.