Romee, Pierre et Olivier de l'Experimental Group Crédit: © Addie Chinn
Romee, Pierre et Olivier de l'Experimental Group Crédit: © Addie Chinn

Des bandes et des bars

Qui dirige les comptoirs les plus hype de Paris ?

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Brasserie Barbès, Chez Jeannette, Experimental Cocktail Club, Moonshiner, Mini Pong... Derrières ces bars dans le vent, on retrouve souvent les mêmes têtes. Comment s'organisent ces réseaux ?

De l’or en bar ? Sans prétendre être les héritiers du roi Midas, de jeunes entrepreneurs parisiens transforment en succès tout ce qu’ils touchent. Et ça se sait. Car leur métier est devenu glamour et médiatisé. Ils évoluent dans le sillage des Costes (famille à la tête de nombreuses brasseries), qui ont eux-mêmes prospéré au croisement de deux époques : la tradition des Aveyronnais ou Auvergnats ayant construit des dynasties bistrotières ; et la récente révolution des patrons de bar aussi connus que leurs adresses branchées, aussi businessmen que leurs clients fortunés.

Les Costes ont ouvert la voie et constitué un empire diversifié en partant de zéro. « Autrefois, le monde des brasseries et des limonadiers à Paris était tenu par des tribus de bougnats, rappelle Nicolas Julhès (photo ci-dessous © Lumento), 38 ans, lui-même attaché à ses origines de Saint-Flour. Il existait un ascenseur social : un serveur pouvait devenir responsable de salle, puis gérant, et ses patrons lui prêtaient parfois de l’argent pour qu’il se mette ensuite à son compte. » Lui dont le grand-père négociait des bars, a fondé avec sa famille l’épicerie fine Julhès, puis mis sur pied la seule distillerie de Paris

Les réseaux auvergnats

Nicolas Julhès connaît bien les réseaux auvergnats, qui préfèrent rester dans l’ombre : « Ils peuvent aider à dénicher, au bon moment, le bon emplacement. » Celui-ci est capital car il conditionne la visibilité du lieu, sa clientèle, les prix pratiqués, et, in fine, sa réussite. Jean Vedreine et Pierre Moussié l’ont bien compris. Ces deux copains du Cantal sont montés à la capitale au début des années 2000 et sont aujourd’hui des trentenaires successful associés dans de multiples affaires.

Dès le départ, ils ont parié sur des quartiers en devenir : le Faubourg Saint-Denis avec Chez Jeannette, les confins d’Oberkampf avec le Floréal, le sud de Pigalle avec le Sans Souci et le Mansart. Et, depuis mai, Barbès et la brasserie éponyme. Ils n’arrêtent jamais de prospecter. Pierre et ses deux frères ont d’autres établissements : le Bellerive, vers Stalingrad, La Piscine Saint-Louis dans le 10e, Le Parisien, dans le 3e. Mi-septembre, Pierre et sa femme ont inauguré l’hôtel Providence, dans le 10e. La nouvelle génération diversifie ses activités. Mais la diversité se développe aussi parmi les profils de ces « serial entrepreneurs ».

Les copains d'abord

Le tropisme familial et géographique n’est plus le schéma prépondérant. « La crise a joué le rôle d’accélérateur de vocation, provoquant des reconversions à la suite d’un licenciement, observe Alexis, à la tête d’une flopée de bars avec ses compères Thomas et Charles. Autre phénomène en plein essor, l’uberisation qui incite à devenir auto-entrepreneur plutôt que salarié. Enfin la mode autour de la cuisine et du cocktail donne envie aux passionnés de se lancer. »

Plus besoin de suivre le chemin tracé par les aïeux, des néophytes trouvent leur voie, parfois au terme d’études en béton. Ainsi ce trio de trentenaires est issu d’une école de commerce. C’est Alexis qui se charge de la gestion, même si les projets sont montés par les trois. Tout est parti, en 2007, de l’envie de réaliser un bar de copains et de quartier : L’Orange Mécanique, rue Jean-Pierre Timbaud. Au bout d’un an, un local se libère dans la même rue, ils foncent dessus, forts de leur premier succès : l’UFO est né. Dix-huit mois plus tard, Thomas, qui vit à Pigalle, y repère un bon plan, le secteur n’étant pas encore en vogue : bienvenue au Rock'n'Roll Circus, puis à son cadet d’un an, le Kremlin, dans la même rue, consacré à la vodka. « Il est plus facile de s’occuper d’affaires prochesconstate Alexis. Et en ayant plusieurs lieux en même temps, on est plus solides financièrement. »

Pigalle est leur nouvelle bonne étoile ? Ils récidivent, en 2013, avec le Dirty Dick (photo ci-dessus © Pierre Lucet Penato) : « On s’est associé avec un de nos anciens salariés, et on s’est focalisé sur le rhum. » Car la bande surfe sur la tendance cocktail et l’engouement pour le bar speakeasy (le terme fait référence aux bars clandestins américains, répandus durant la Prohibition), en créant six mois après le Moonshiner, caché derrière une petite pizzeria vers Bastille et spécialisé dans le whisky. A chaque fois, ils construisent des univers très différents, imaginant eux-mêmes la déco. Prochaine étape, mi-octobre, avec Louie Louie, rue de Charonne, mix entre pizzeria et bar à cocktails.

Les (re)convertis

Leur parcours a fait des émules. Julien Trollet l’a suivi de près, car Alexis est un ami d’enfance. « Pendant dix ans, j’ai été responsable marketing chez EMI et j’ai quitté la musique car je ne m’amusais plus. J’ai alors voulu tenir un bar avec mon frère et un copain photoreporter. On a vu douze banques qui nous rétorquaient : "ce n’est pas votre métier" ! Elles n’aiment pas les reconversions. Heureusement que mon frère travaille dans l’hôtellerie. Une fois le premier établissement sur les rails, le Pile ou Face à Pigalle, il a été plus facile d’obtenir un prêt pour le deuxième. » Mini Pong (photo ci-contre © Cyril Marcilhacy) vient donc de voir le jour, 50 mètres plus loin. « On ne cherchait pas forcément dans ce coin, on a saisi une occasion. Notre projet est avant tout né d’un concept : cocktails et ping pong. » N’y a-t-il pas saturation de bars dans le quartier ? « Plus il y a de bars, plus ça attire du monde. Etre isolé, ce n’est pas un avantage. » 

Les ex-noctambules

Sauf quand on s’est déjà constitué un bon réseau de clients et une belle notoriété. C’est le cas d’Adrien et Anthony Maselli (photo ci-dessus © DR), qui ont très tôt forgé leur expérience dans les nuits de la capitale. Arrivés à la trentaine, ils se sont dirigés vers les bars à cocktails. En 2013, Le Fourbi s’est installé dans le 7e, pourtant peu prisé des fêtards. Mais les jumeaux savent rameuter le public qui fréquentait leurs soirées, venu en général de l’Ouest parisien en voisin. Changement total de décor avec Maria Magdalena, implantée en 2014 à Pigalle. Pour financer ces deux projets, ils ont procédé aux tours de table habituels : « D’abord le "love money", prêté par la famille. Puis, les banques qui regardent le CV de l’emprunteur, pour s’assurer de sa maîtrise du dossier. Enfin, si le budget nécessite une levée de fonds plus importante, les investisseurs. »

Il arrive souvent que les brasseurs servent de caution auprès des banques pour le patron du bar : « Ils apportent une garantie financière, mais aussi professionnelle car ils savent juger si le projet est solide, explique Xavier Getten, gérant de Monsieur le Zinc, bar à bière innovant d’Odéon. Mais en contrepartie, les brasseurs imposent que l’on se fournisse chez eux, avec obligation d’achat de certains produits et peu de marge de négociation pour les prix… C’est pourquoi le marché de la bière en France est si terne ! »

Les vrais businessmen

Certains ne misent pas que sur Paris et l’Hexagone, et voient beaucoup plus loin. Comme Romée de Goriainoff, Olivier Bon et Pierre-Charles Cros de l’Experimental Group (photo du haut de page). Après un cursus universitaire en Amérique du Nord, ces amis d’enfance ont démocratisé la culture cocktail à Paris. A 25 ans, ils vont voir les banques avec 30 000 euros d’économies et décrochent un prêt de 100 000 euros pour ouvrir l’Experimental Cocktail Club, en 2007.

De bandes en bandes...

« Le fonds de commerce n’était pas très cher car planqué dans une ruelle de Montorgueil, se souvient Romée. C’est justement ce que l’on cherchait pour renforcer le côté speakeasy. Et dès l’origine, on avait une vision très entrepreneuriale de notre projet : on voulait constituer un véritable groupe, qui, aujourd’hui, réalise la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger, grâce à nos bars et restaurants à Londres, New York, Ibiza. Pendant les premières années, on ne s’est pas payés, on a tout réinvesti. Jusqu’en 2013, on détenait 100 % du capital, puis on a fait une levée de fonds, après l’achat du Grand Pigalle Hotel. » Ils font travailler 220 salariés et leurs établissements ont joué le rôle d’incubateurs : plusieurs employés sont partis créer leur bar à cocktails, comme la Candelaria, le Little Red Door, etc. Ou quand les bandes engendrent de nouvelles bandes…
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