La Coupe à 10 francs

'La Coupe à 10 francs' de Philippe Condroyer

Retour avec Jean-Bernard Emery, associé chez Madadayo Films, sur la ressortie en salles et en version restaurée du film social et délicat de Philippe Condroyer

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Dans l’antiquité juive, le légendaire guerrier Samson tirait sa force de ses cheveux. Dans la France des années 1970, le jeune André (Didier Sauvegrain) aussi. Dix-huit ans, discret, menuisier dans une bourgade de Picardie, il porte ses cheveux blonds jusqu’aux épaules. Ce qui n’est pas du goût de son patron, vieux con en chef et chauve comme un moine, qui lui ordonne d’adopter une coiffure plus courte. Il refuse et résiste, prenant lentement conscience de son individualité et de ses droits. L’atelier et le village se divisent sur son cas jusqu’au drame (lire notre critique du film). Retour avec Jean-Bernard Emery, associé chez Madadayo Films, sur le long métrage vintage de Philippe Condroyer.

Un film de 1975 qui ressurgit aujourd’hui doit avoir quelque chose de spécial… Vous nous racontez ?  

C’est un film tiré d’un fait divers survenu en 1970 qui a beaucoup impressionné le réalisateur, Philippe Condroyer. Un menuisier d’une petite ville de Bretagne, un jeune homme qu’on disait calme et tranquille, s’est suicidé sur son lieu de travail, probablement suite aux pressions exercées par son patron pour qu’il coupe ses cheveux longs. Philippe en a tiré un scénario écrit en quelques semaines et tourné en Picardie avec un budget réduit et des acteurs inconnus. Ce qui le rend spécial, c’est peut-être que Philippe a ressenti un lien fort avec ce jeune homme. Philippe a fait les Beaux-Arts, il était peintre, et ce menuisier aussi. Pour Philippe, ça témoignait d’un désir de s’exprimer malgré les règles conservatrices de son univers. Il n’a pas fait d’enquête sur place pour écrire son scénario, il s’est seulement laissé guider par la puissance de cette émotion. 

Comment le film a-t-il été reçu à l’époque ?

Le projet a rencontré pas mal de difficultés : les techniciens ont fait grève contre les producteurs pendant le tournage, avec le soutien de Philippe d’ailleurs, puis le distributeur a limité le budget de sortie malgré une sélection à la Quinzaine des Réalisateurs de 1975. Par une malchance supplémentaire, le film 'Les Doigts dans la tête' de Jacques Doillon, tourné après 'La Coupe', est sorti quelques mois avant : comme il y avait Roseline Villaumé parmi les têtes d’affiche – la jeune femme qui joue l’amoureuse d’André dans le film – cela a plutôt nuit à la fraîcheur de 'La Coupe'. A cause de ces difficultés, le film n’a pas été très diffusé après sa sortie.

Qu’est-ce qui vous a incité à le déterrer ?

Malgré ces ennuis, les problématiques sociales présentées dans le film lui ont permis de circuler dans les réseaux de ciné-clubs militants qui existaient à l’époque. J’en ai entendu parler plusieurs fois par des personnes qui en gardaient un souvenir ému. J’ai fini par tomber dessus pendant les Rencontres cinématographiques de la Seine-Saint-Denis en 2012, où le film a fait une forte impression en dépit de la qualité misérable de la bande. J’ai très vite décidé de retrouver le réalisateur et les copies pour tenter une restauration.  

Ca n’a pas été facile, il ne restait que quelques versions pourries. Par chance, on a rapidement retrouvé Philippe Condroyer, il a été intéressé par le projet et il s’est battu pour racheter les droits qui appartenaient alors à Canal. Une subvention du CNC nous a permis de le restaurer et de le numériser à partir de la meilleure copie disponible, en respectant le grain de l’image qui participe à l’atmosphère sombre du film. Et voilà…

Quarante ans après, dans un contexte économique et social très différent, vous pensez que le film peut trouver son public ? 

Le contexte du film est celui d’une reprise en main de la France par les autorités politiques et économiques après les événements de mai 68 : on arrête la « chienlit » et on redresse le pays… Mais la révolte s’était déjà propagée dans toute la France, à différents degrés, d’où ces gamins aux cheveux longs dans cette bourgade de campagne. Les cheveux longs, c’était la révolte. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, c’est vrai. La mode de la barbe joue peut-être le même rôle, ou même le fait de porter des baskets au lieu de mocassins au travail, par exemple. De toute façon, le sujet est anecdotique : ce qui est essentiel, c’est que les ennuis du jeune homme viennent de son refus des contraintes que la communauté cherche à lui imposer. Ca, c’est intemporel. Et puis, on a malheureusement assisté à beaucoup de suicides sur le lieu de travail depuis quelques années. Les conditions sociales ne sont pas complètement différentes.

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