summer film 2015

Rencontre avec Alanté Kavaïté

La réalisatrice du lumineux 'Summer' revient sur la génèse de son film et sur les turbulences de l'adolescence

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Avec 'Summer' (lire la critique), la réalisatrice et scénariste Alanté Kavaïté livre une ode à l'adolescence douce, sensuelle et lumineuse, idéale pour la période estivale. A découvrir actuellement en salles.

Time Out Paris : Tout votre film semble tendre vers la mise en œuvre d'un cinéma sensuel ou sensoriel, de son économie de dialogues à la matérialité prononcée de l’image et du son. Avez-vous choisi dès l'origine de traiter l'adolescence sous l'angle particulier des sens ?

Alanté Kavaïté : En parlant de l'adolescence, on pourrait effectivement partir dans de grands drames. Or, c’était ma volonté, dès le début, de réaliser un film sensoriel, davantage centré sur les émotions que sur des rebondissements narratifs ou dramatiques. J'ai donc commencé par écrire un scénario très court, pour laisser une grande place à la mise en scène sur le plateau. L'idée était de réaliser un film très lumineux, très léger, très pop, parce qu'il n’y a finalement pas beaucoup de films sur cette période de la vie qui ne soient pas sombres. Car même si l'adolescence est souvent liée à la souffrance, c’est aussi une période exaltante, où les sens se mettent en éveil et tendent vers un certain paroxysme : que ce soit dans l'amour ou dans le fait de devoir faire face à des problèmes nouveaux, inédits. Sur le moment, ces émotions sont évidemment très complexes, mais avec le temps, j’en garde personnellement des souvenirs intenses et assez merveilleux. Aussi, je crois que j'ai voulu faire un film qui m'aurait fait du bien à 17 ans, en épousant au plus près le point de vue de cet âge, de l’intérieur, avec le pari formel de donner au public la chair de poule, l'excitation, la part de douleur, de plaisir, et l’ensemble des contradictions propres à cette période, que ce soit à travers les découvertes musicales, les premières fois… Ce sont ces sensations et ces souvenirs qui m’ont guidée.

Comment cette volonté sensible s’est-elle traduite dans l’écriture et sur le plan formel ?

Ce pari d'un cinéma de la sensation liée à l'adolescence me semblait naturel et légitime, car c'est une époque de découvertes sur laquelle on ne parvient pas encore, sur le moment, à mettre des mots, à identifier des concepts. J'ai donc choisi d'utiliser des symboles, des métaphores et une stylisation qui pourraient évoquer un conte. Je souhaitais également un cadre assez strict, presque sévère puisque la caméra ne filme quasiment qu’en plans fixes, tout en injectant une bonne dose d'improvisation au cours du tournage, pour capter au mieux cette ouverture de l'adolescence, cette liberté naissante, naturelle et immédiate.

Les premières séquences du film, aériennes et tourbillonnantes, pourraient d'ailleurs assez bien représenter une métaphore de ce qui attend l'héroïne, Sangaïlé, à travers ces scènes de haute voltige en avion, avec ses loupés, ses piqués, ses loopings…

Tout à fait. Ces scènes furent particulièrement difficiles à tourner. Pour plusieurs raisons : la première, c'est qu'il n'y a que deux places dans les avions de voltige, dont une est évidemment réservée au pilote. Il n'y avait donc aucun espace pour une caméra de cinéma professionnel à l’intérieur de l'appareil… Ainsi, nous avons dû recourir à un dispositif multipliant les appareils photo, les mini-caméras HD. Ensuite un gros travail de post-production a été nécessaire afin d'harmoniser ces différentes sources d'images. Techniquement, ‘Summer’ est un film qui aurait été impossible il y a cinq ou six ans. Par ailleurs, il y avait aussi une limite physique, humaine, dans le fait de tourner ces séquences ; à savoir que le corps humain ne peut supporter plus de deux séances de voltige de onze minutes maximum par jour. Pour les scènes où Sangaïlé est en avion, c’est donc Julija Steponaityte, qui interprète l’héroïne, qui s’est elle-même filmée, alors que c’était, pour elle aussi, sa première fois.

On perçoit en effet tout au long du film une grande importance attribuée à la texture des images, aux teintes, aux grains, aux couleurs et chromatismes…

Une certaine part de la mise en scène était présente dans l'écriture : par exemple, cette idée de tout filmer en plans fixes. Il y avait aussi d'autres plans, des idées visuelles, des jeux de symétrie, que j'avais en tête dès l’écriture du scénario. Mais après, en voyant les acteurs sur le plateau, au naturel, il y a beaucoup d'autres choses qui naissent, qui s'imposent spontanément. Un tournage en extérieur, tel que celui-ci, c'est évidemment beaucoup d'imprévus, de difficultés inattendues, mais il est aussi possible de prendre ces contraintes, au jour le jour, comme autant de sources d'inspiration. Ainsi, j'ai changé, modifié, adapté le scénario, parfois plusieurs fois par jour, afin de coller au plus près des possibilités réelles de nos trente jours de tournage. J'ai trouvé un véritable plaisir à travailler de cette façon ; ce qui était possible du fait qu'on n'avait pas un financier tous les jours sur le dos, qui viendrait inspecter le tournage ou demander des comptes.

Cette liberté était donc étroitement liée au financement du film?

En effet, le tournage a été financé par le Centre du Cinéma Lituanien, qui a une approche très respectueuse, artistique et qui a laissé l'équipe totalement libre. Du coup, le dispositif du film était finalement très simple : trente jours de tournage, un scénario court et la liberté totale de prendre le meilleur de ce qui arrive.

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