« Salut, je suis Leo. » Dans une chambre d’hôtel londonienne, Leonardo DiCaprio revient de la fenêtre où il vient de tirer quelques bouffées d’une cigarette électronique. Il se montre souriant. C’est bon signe. Connu pour sa discrétion, l’acteur n’a pas hésité à dégager un journaliste qu’il trouvait grossièrement intrusif. A 41 ans, il n’est plus l’adolescent incroyablement beau de ‘Romeo+Juliet’ ou ‘Titanic’. A vrai dire, je suis même plus éblouie par ses fringues que par son physique – en particulier par son pull en cachemire bleu marine, si cher et si doux que j’ai du mal à résister à la tentation de lui caresser le bras.
Il faut dire que DiCaprio a de quoi sourire. 2016 lui appartient. Après quatre nominations aux Oscars, il semble terriblement bien parti pour remporter enfin la récompense du meilleur acteur de l’année pour son rôle dans ‘The Revenant’. Situé en 1823, le film raconte l’histoire vécue par Hugh Glass, laissé pour mort dans les montagnes Rocheuses du nord de l’Amérique. Mis en scène par Alejandro González Iñárritu (‘Birdman’), ‘The Revenant’ est un drame brutal et âpre, parfois sanglant, qui n’hésite pas à violenter son héros : déchiqueté par un ours, malmené par Tom Hardy (qui, avouons-le, est à peu près aussi flippant qu’un grizzly), enterré vivant, celui-ci se retrouve même à devoir dormir dans une carcasse de cheval encore fumante. Bien sûr, ce n’est que du cinéma – mais DiCaprio a tout de même dû s’y frotter. Etalé sur 9 mois entre le Canada et l’Argentine, le tournage fut si difficile que certains membres de l’équipe le décrivirent comme « l’enfer sur Terre ».
Time Out : Vous vous êtes beaucoup impliqué dans le tournage de 'The Revenant', en allant jusqu’à manger du foie cru à pleines dents. Pourquoi avez-vous été jusque-là ?
Leonardo DiCaprio : Je l’ai fait, parce que le foie factice qu’on m’avait fourni ne me semblait pas crédible. Arthur, l’acteur amérindien avec lequel je travaillais sur cette séquence, avait mangé du foie cru toute la journée, alors que j’étais là à faire semblant de mâcher un gros bout de pâte à modeler. Il fallait bien que je tente le coup. Mais je ne l’ai fait que deux fois. Et c’est ce qui apparaît à l’écran. Ça s’est fait à l’instinct.
‘The Revenant’ est un film éprouvant à regarder. Sur une échelle de 1 à 10, comment estimeriez-vous les difficultés que vous avez rencontrées à le tourner ?
10. Mais on savait tous à quoi on s’engageait. On savait qu’on ne pourrait pas s’appuyer sur des effets numériques, et qu’on s’orientait vers une expérience à la ‘Fitzcarraldo’ ou ‘Apocalypse Now’.
Vous avez tourné en pleine nature. Y a-t-il eu de accidents évités de justesse ?
Oui, le film entier ! Mais le véritable ennemi était ce froid permanent. Je disposais d’une machine spéciale que j’appelais « la pieuvre », qui était une sorte de sèche-cheveux géant avec huit tentacules, qui me permettait de me réchauffer entre les prises.
En général, êtes-vous du genre à vous lever à 5h du matin pour partir en randonnée ?
Je ne dirais pas à 5h du matin, non. Mais j’aime définitivement le plein air. J’adore me retrouver immergé dans la nature, dans des lieux encore vierges, préservés de l’impact de l’Homme. C’est presque une expérience religieuse de se retrouver à naviguer sur l’Amazone, éloigné de toute civilisation par des milliers de kilomètres.
Vous avez parfois frôlé la mort, lors de certains de vos voyages. Vous avez survécu à une attaque de requins en 2006 ; et avant cela, vous avez eu un accident avec un parachute qui refusait de s’ouvrir… Qu’est-ce qui vous est passé par la tête, dans ces moments-là ?
C’est bizarre, parce que ça vous mène droit à l’essentiel. Au fond, ce n’est pas plus dramatique que de recevoir une contravention. Vous vous dites juste : et merde, pourquoi fallait-il que ça arrive aujourd’hui ? Je suis trop jeune, j’ai la vie devant moi. Qu’est-ce que ça craint… Mais enfin, ça n’a rien de particulièrement profond. Rien que la volonté de survivre.
Donc vous n'avez pas vu votre vie défiler sous vos yeux ?
En fait, si. J’ai connu quelques expériences de ce genre, où vous avez l’impression de voir votre vie entière sur papier glacé, résumée en une seconde. C’est un truc qui arrive vraiment. C’est clairement ce qui m’est arrivé avec cette histoire de saut en parachute.
Ces expériences vous ont-elles aidé à ne plus avoir peur de la mort ?
Non. Je n’ai pas moins peur de mourir qu’avant.
Qu’est-ce que ça signifierait pour vous d’avoir un Oscar ?
Franchement ? Ce n’est absolument pas ce à quoi je pense quand je fais un film. Je n’ai jamais rien fait en vue d’obtenir une quelconque récompense. A chaque fois, la seule question, c’est d’essayer de faire de son mieux. C’est tout.
Vous aviez 19 ans lorsque vous avez été nommé pour la première fois aux Oscars. C’est Tommy Lee Jones qui remporta la statuette, pour son rôle dans ‘Le Fugitif’ – mais aviez-vous préparé un discours ?
Non ! Je n’avais absolument rien préparé. Je ne pensais pas avoir la moindre chance de l’emporter. Cela aurait été une catastrophe absolue si j’avais gagné.
Vous avez grandi dans un quartier difficile de Los Angeles, et avez déclaré vous sentir, enfant, comme un étranger, un outsider. Est-ce qu’il vous arrive encore de vous sentir ainsi ?
Je pense que je me sentirai toujours comme un outsider. Marty [Scorsese] était pareil. Il venait tout droit des rues de New York et ne se sentait pas du tout chez lui à Hollywood. Je me souviens avoir été systématiquement rejeté par les directeurs de casting quand j’étais gamin. J’avais l’impression d’être le plus étranger du monde à tout cela. Et j’imaginais qu’un jour, on venait vous voir, qu’on vous adoubait en vous disant : « Ça y est, tu fais partie de l’élite, tu es l’élu. »
Et donc, vous vous sentez adoubé, désormais ?
Hell, yeah.
Lequel de vos films préférez-vous ?
‘Blessures secrètes’. C’était il y a 25 ans. J’en avais 15, et je me souviens du moindre détail. Tout était nouveau pour moi. Observer Robert De Niro, son implication sur le plateau... C’était une des expériences les plus importantes de ma vie.
On parle souvent de la différence qu’il y a entre être acteur et être une star de cinéma. Or, on a l’impression que vous avez passé votre trentaine à éviter le statut de célébrité. Cela vous semble-t-il exact ?
Vous savez, en vérité, mon attitude vis-à-vis des films que j’ai envie de faire n’a jamais changé. Je faisais les mêmes choix aujourd’hui que lorsque j’avais 15 ans.
Et qu’en est-il de ‘Titanic’ ?
Je crois qu’avec ‘Titanic’, j’essayais de m’éloigner des films indépendants que je faisais jusqu’alors pour essayer quelque chose de différent. Puis, ce fut l’occasion de me demander comment saisir l’opportunité, qui m’était alors offerte, de financer un film dont je serais incroyablement passionné. Ma capacité à reconnaître de grands réalisateurs, ou de grands projets, s’est améliorée. Et j’espère être moi aussi devenu meilleur en tant qu’acteur au fil des années… Mais le genre de travail que je veux faire n’a pas changé.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la Leo-mania de ces années-là ?
La… quoi ?
La Leo-mania des nineties, qui entourait la sortie de ‘Titanic’. C’est comme ça qu’on appelle ça aujourd’hui, sur Internet…
Vraiment ? C’était une période très surréaliste pour moi. C’était bizarre. J’ai dû faire une pause de quelques années pour me recentrer, tellement tout cela me paraissait intense.
Vous avez 41 ans. Que vous reste-t-il à faire, aujourd’hui ?
A l’heure actuelle, ce que je compte faire est de prendre un peu de temps.
Vous avez soutenu le président Obama. Vous êtes un écologiste engagé. Envisagez-vous de vous tourner vers la politique ?
Je n’en sais rien. J’ai travaillé sur un documentaire autour du changement climatique au cours des deux dernières années. S’il y avait quoi que ce soit que je puisse faire, afin de contribuer à ce que je considère comme le problème le plus grave auquel l’humanité doit faire face, le dérèglement climatique, j’adorerais y prendre part. Mais cela ne signifie pas pour moi qu’il faille occuper un poste politique. Je crois que beaucoup de ces changements doivent venir d’efforts collectifs, de groupes ou de personnes qui essayent d’ébranler le système. Je pense que cela va venir de l’extérieur. Il ne faut pas compter sur les politiciens ou sur le capitalisme pour prendre les bonnes décisions.
La vision du monde de ‘The Revenant’ est sombre. Les hommes se détruisent les uns les autres. La nature est indifférente. Etes-vous pessimiste ?
Voilà une question intéressante pour un écologiste comme moi, qui force à reconsidérer le contexte de l’époque [de 'The Revenant'] et cette conquête de l’ouest – où l’on commence à exploiter sans vergogne les ressources naturelles, à décimer les tribus amérindiennes autochtones, à abattre les arbres et à creuser la terre pour le pétrole. Et voyant cela, on se dit : oh, mon Dieu, comme nous avons pu être brutaux ! Mais je me demande quel regard porteront les générations futures sur l’époque actuelle. Nous sommes en train de détruire la nature et d’exterminer des espèces vivantes à un rythme sans précédent. Je reviens tout juste de Paris [où avaient lieu des négociations sur le changement climatique] et aucune résolution n’en est sortie. Nous sommes aujourd’hui voués à un avenir incroyablement sombre.
Autrement dit, vous êtes pessimiste.
Non. Je suis plein d’espoir à l’idée que nous allons devoir évoluer en tant qu’espèce. Mais il reste quelque chose d’extrêmement destructeur dans la nature humaine.