Le réalisateur touche-à-tout revient pour Time Out sur sa carrière passée, présente et future, ainsi que sur la genèse de son nouveau western, quelque part entre 'Reservoir Dogs', John Carpenter, Agatha Christie et les démons de l’Amérique contemporaine. Interview à bâtons rompus.
Time Out : ‘Les 8 Salopards’ se déroule juste après la Guerre de Sécession, mais développe un thème qui vient de refaire surface à la Une de l’actualité américaine : celui de la discrimination raciale. Etes-vous surpris par cette correspondance avec votre film ?
Quentin Tarantino : Si vous parlez avec un habitant d’un quartier noir des Etats-Unis, il vous dira que cela fait au moins vingt ans que cette question se pose en ces termes. Ceci dit, en tant que phénomène « à traiter » pour les médias mainstream, c’est beaucoup plus récent, et c’est d’ailleurs venu après que nous ayons fait le film. Le positif, dans le fait que le script des ‘8 Salopards’ ait fuité sur Internet, c’est que cela apporte une preuve qu’il avait été écrit bien avant les événements de ces derniers mois.
Diriez-vous qu’il s’agit de votre film le plus politique ?
Oui, mais ce n’était pas mon projet quand j’ai commencé à l’écrire. Et même après l’avoir terminé, je n’en avais pas vraiment conscience… jusqu’à ce que la société, d’une certaine manière, en rattrape les thèmes. J’ai abordé la question raciale, en termes de noir et blanc, dans beaucoup de mes films – voire dans tous mes films, dans une certaine mesure. Mais je pense que parler du racisme aux Etats-Unis constitue ma contribution au genre du western. Jusqu’ici, ça n’avait été fait par personne, du moins pas de façon significative.
Pourquoi avoir choisi de refaire un western, juste après ‘Django Unchained’ ?
Une fois que j’ai compris comment réaliser une course-poursuite en voiture, je n’ai jamais recommencé. Dans le cas de ‘Django Unchained’, j’ai appris à faire un western, à gérer les chevaux et les cow-boys… Mais à la fin, je me suis rendu compte, à ma grande surprise, que je n’en avais pas fini avec ça, que j'en avais encore envie.
Qu’est-ce qui vous y a ramené ?
Le genre du western a toujours été assez apte à évoquer l’actualité des décennies au cours desquelles ces films étaient réalisés. Par exemple, la guerre du Vietnam ou le Watergate planaient sur l’ensemble des westerns sortis au cours des années 1960-1970, tous fondamentalement cyniques. Quand vous faites un western, vous ne pouvez vous empêcher d’aborder l’air du temps des Etats-Unis, leur zeitgeist. Dans dix ou vingt ans, j’espère que ‘Les 8 Salopards’ pourra donner une bonne vision des préoccupations américaines de notre époque.
Envisagez-vous toujours, comme vous l’avez déclaré, de vous arrêter après votre dixième film. Celui-ci est déjà votre huitième…
C’est mon idée, oui. En général, ça me prend environ trois ans pour sortir un film, ce qui me laisse de toute façon encore une bonne décennie. Et qu’en est-il de la télévision ? Est-ce que ça compte ? Il se pourrait bien que je réalise entre-temps quelque chose pour la télé, qui ne ferait pas partie de ces dix films.
Mais pourquoi vouloir vous arrêter là, en ce qui concerne le cinéma ?
Je ne veux pas devenir ce genre de mec qui ne sait pas s’arrêter, qui ferait le même truc pour l’éternité. Il faut savoir finir. C’est une idée qui me paraît de plus en plus solide. Je crois que beaucoup de réalisateurs – pas tous les réalisateurs – pensent qu’ils ont davantage de temps qu’ils n’en ont vraiment. Ça peut aussi bien être une simple question de mortalité qu’une histoire de chances ou d’opportunités au sein de l’industrie. On ne sait jamais rien à l’avance. Pourtant, on voit des réalisateurs penser qu’ils auront encore la possibilité de faire six films, alors qu’ils arriveront tout juste à en réaliser un.
Est-ce que cela rend le choix de votre prochain projet plus difficile ?
Les raisons de faire un film deviennent effectivement plus nettes. Il ne s’agit pas de faire un film pour payer une pension alimentaire. Ou parce que tel ou tel acteur voudrait travailler avec vous.
Concernant ‘Les 8 Salopards’, votre long métrage ressemble davantage à une pièce de théâtre qu’à un film d’action.
L’une des choses que j’ai apprises en faisant ce film, c’est à transformer la violence en une tonalité générale qui surplombe l’histoire, suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des personnages. Vous ne savez pas quand la violence va exploser, mais vous savez que c’est inévitable, vous l’attendez. L’astuce, ici, c’était d’étendre cela à l’ensemble du film. S’il fonctionne, c’est que son suspense prend. Il y a une longue, longue mise en place, au cours de laquelle je dispose mes pièces comme sur un échiquier. Je joue aux échecs, et il faut que tout soit parfaitement en place avant que l’attaque puisse commencer – même si cela exige un effort de patience de la part du spectateur.
Y a-t-il un autre genre de film auquel vous seriez impatient de vous confronter ?
Il ne reste pas vraiment de genre qui m’exciterait a priori autant qu’un film de guerre sur la Seconde Guerre mondiale ou un film d’arts martiaux. Sauf peut-être un film de gangsters à la sauce des années 1930, avec des truands façon John Dillinger. J’ai surtout assez envie de faire un truc contemporain, où mon personnage peut sauter dans sa bagnole et allumer la radio : ça permet d’avoir un montage cool pour une scène de conduite. Si j’avais vraiment toute la vie devant moi, j’adorerais faire un film d’horreur qui soit vraiment, vraiment flippant, comme ‘L’Exorciste’. Mais je ne sais pas si mettre de côté mon sens de l’humour pour suivre une tonalité angoissante du début à la fin soit la meilleure chose à faire de mes capacités ou de mon temps.
Ainsi, Quentin Tarantino pourrait-il ne pas être drôle, à un niveau ou à un autre ?
Je ne sais pas si je pourrais complètement laisser tomber l’humour. Toutefois, ‘Les 8 Salopards’ est sans doute mon film le plus proche du cinéma d’horreur. Pus que n’importe quel western, c’est ‘The Thing’ de John Carpenter qui aura été ma principale source d’inspiration pour celui-ci – et cela va bien au-delà de la présence de Kurt Russell ou de la musique d’Ennio Morricone. ‘The Thing’ avait aussi énormément influencé ‘Reservoir Dogs’, évidemment. Tout comme ‘Reservoir Dogs’ a pu influencer ‘Les 8 Salopards’.
En somme, ce film viendrait boucler la boucle ?
On pourrait dire ça, en effet. Ou qu'une sorte de cordon ombilical pourrait lier ce huitième film à mon tout premier.
>>>> 'Les 8 Salopards' de Quentin Tarantino, en salles mercredi 6 janvier 2016 - lire notre critique du film.