A peine réveillé, Joaquin Phoenix ouvre grand sa fenêtre et s’éclate une première clope. Nous sommes un samedi matin à Paris, et le décalage horaire semble l’avoir rendu groggy (pour ne pas dire grognon). En réalité, cet air si singulier, le bonhomme le trimballe depuis trois décennies et son tout premier rôle dans Portrait craché d’une famille modèle, alors qu’il n’avait que 14 ans. Devenu l’anti-star par excellence, l’acteur dicte sa carrière avec son propre tempo, naviguant souvent là où ne l’attend pas : à contre-courant.
Car si Gladiator a fait de lui une star, et que Walk the Line l’a érigé en superstar, il décide avec fracas — et alors qu’il est au sommet de la gloire — de claquer la porte du cinéma mainstream pour ouvrir en grand celle du cinéma d’auteur. Spike Jonze, Paul Thomas Anderson, James Gray… Les plus grands réals du cinéma indépendant lui ont offert des rôles bien plus osés. Et à fortiori plus impressionnants.
Glaswegian Lynne Ramsay et son A Beautiful Day sont venus s’ajouter à cette liste. Ici, il interprète Joe, ex-Marine brutal et torturé, traumatisé par la guerre au point de se muer en tueur à gages. Ses cibles, il les élimine au marteau. Vous l’aurez compris, le scénario est sombre, dérangeant mais franchement bien ficelé. Et Phoenix est parfait dans les pompes de cette âme perdue et intrigante. Intrigant, l’homme l’est tout autant en vrai. « J’ai parfois lu des interviews d’autres cinéastes qui pensaient avoir tout compris de moi et du monde qui m’entoure », nous dit-il. « Mais je n’ai jamais, jamais essayé d’avoir cette image. »
« Qu’avez-vous pensé du personnage en lisant le scénario pour la première fois ?
J’ai immédiatement voulu changer quelques aspects du scénario. Déjà, j’étais censé m’être pris une balle dans la jambe. Pour être honnête, je me suis dit : « je ne veux pas être cet acteur boiteux pendant les trois quarts du film, je déteste ça dans les films. Peut-être pourrait-il se faire tirer dessus ailleurs, comme sur le visage ». Je ne voulais pas passer cinq semaines à simuler une fausse boiterie, ce n’est pas mon truc.
Cette histoire aurait pu être les prémisses d'un film d'action, mais votre film subvertit cette idée.
Oui, les clichés du cinéma de genre me désolent. Dès nos premières conversations avec le réalisateur, nous voulions rendre ce film authentique. Nous ne voulions pas que Joe utilise la violence pour sauver une fille. Nous essayions de sortir du cliché de l’homme-héros qui vient sauver une femme. Cette idée me rebutait totalement.
Votre (non)musculature a t-elle également été un sujet ? Là encore, vous sortez du cliché du corps bodybuildé de certains héros du cinéma.
Effectivement. Si vous regardez toute la dernière décennie, presque tous les personnages sont gonflés de partout. Si vous avez déjà fait ce genre de travail sur votre corps, vous savez que cela implique un tas d’entraînements, de régimes, et plein d’autres merdes pour enlever toute graisse corporelle. Je ne voulais pas qu’on tombe dans ce genre de pratique.
Regardez-vous tout de même tous ces films qui sont encore dans ce type de clichés - les Bonds, les Bournes… ?
J’ai vu certains de ces films. Je veux dire, si vous cherchez du divertissement, il n’y a rien de mal à cela. Mais il est temps de proposer une certaine variation, bien que je pense que ces films peuvent être agréables avec un bon réalisateur. Paul Greengrass, qui a fait certains des Jason Bourne, est par exemple un très bon réalisateur. Bien sûr que je pourrais regarder ce genre de films, je ne mate pas que des films à la Truffaut.
Sur une note différente, Bret Easton Ellis a récemment déclaré que vous preniez des cours de karaté.
C’est complètement faux. Ce que je fais, et j’ai été parfaitement clair, c’est du yoga dans un studio de karaté, dans lequel je porte donc la tenue traditionnelle.
Et comment ça se passe ?
C’est horrible. Je n’y trouve aucun plaisir. Je peux endurer la douleur si je sens que je la contrôle et si ce sont des moments brefs, mais l’idée de tenir une position de yoga, cela me met mal à l'aise. Pourtant je continue…
Dans votre prochain film, Marie Madeleine, vous jouez Jésus. A quoi ça va ressembler ?
Je ne sais ni quoi penser et ni à quoi ça va ressembler (rires). Le centre du film est la vie de Marie. Donc moi, j’imagine que je vais me balader en robe de chambre et dire quelques conneries (rires). Pour le reste, j’en ai aucune idée. »
A Beautiful Day, en salles le 9 mars