Cette année, Xavier Dolan fête ses trente ans de présence sur Terre et déjà ses dix ans de cinéma. Une boucle commencée en 2009 avec la solitude de J’ai tué ma mère et qui s’achève dans le tremblement collectif de Matthias et Maxime, son nouveau film, plongée émouvante dans la vie d’un groupe de potes doublée d’une comédie romantique nouveau genre. Une œuvre de transition, comme dit Dolan, et qui lui va bien au teint. Ce qu’on lui a immédiatement fait remarquer quand il s’est assis face à nous.
Vous avez l’air heureux.
Je le suis !
Matthias et Maxime est un film énergique, libre, loin d’Hollywood. Délivré ?
J’ai longtemps cherché l’approbation, la validation des autres, mais j’ai compris que je ne pouvais plus espérer être aimé par tout le monde. Faire ce film, ainsi que les deux autres avant – Juste la fin du monde, Ma Vie avec John F. Donovan –, m’a affranchi de ce besoin d’acceptation. J’ai trouvé auprès de mes amis la seule validation dont j’ai besoin aujourd’hui. Ce long-métrage est d’ailleurs parti du désir de raconter ma transformation au contact de nouvelles amitiés. Ma rencontre il y a quelques années avec celles et ceux qui jouent dans Matthias et Maxime a été salvatrice.
« Dans ma vie, j’ai passé beaucoup de temps seul »
Avant, vous n’aviez pas d’amis ?
J’avais de très bons amis, mais je ne connaissais pas le sentiment de communauté. Je ne l’ai connu qu’après mes 25 ans. A l’adolescence, on se forge des amitiés. Ensuite, comme vous le savez, chacun prend son chemin. Parfois on se retrouve et on s’aime encore, pourtant, le temps a fait son effet… Moi, j’ai décroché du système éducatif à l’âge de 17 ans, après ce qu’on appelle au Québec le diplôme d’études secondaires – on dit aussi « de peine et de misère ». Ensuite, j’ai commencé illico à faire du cinéma. Dans ma vie, j’ai passé beaucoup de temps seul.
Le film raconte le trouble entre deux amis hétéros après un baiser mis en scène pour un court-métrage. Vous faites vaciller le modèle masculin dominant.
J’interroge ce que veut dire être un homme. Dans son job, Matthias (Gabriel D’Almeida Freitas) est confronté à travers l’un de ses collègues à la masculinité toxique, que je filme comme une oppression. Je pose les questions : ce serait quoi, la masculinité ? Est-ce qu’on nous a inculqué depuis toujours des notions nuisibles ? Est-ce que le fait de fragiliser la masculinité serait un défaut ? La compenser par un peu de féminité, est-ce une faiblesse ? Comment nos amis et nos proches vont-ils nous percevoir ?
Vos réponses restent optimistes : on peut être un homme différent.
Quand la famille de Matthias découvre le court-métrage où il embrasse Maxime, l’enthousiasme domine et personne ne parle du baiser. Je n’avais aucune envie que les gens soient gênés. Je voulais que tout le monde trouve cela normal, qu’on ne sente aucune homophobie.
L’ambition, ce serait d’arriver à une forme de fluidité ?
Pour la jeune femme – plus jeune qu’eux – qui filme ces garçons, c’est une évidence qu’ils s’embrassent. Pour eux, c’est un mystère. C’est ça, aussi, le film : le parcours de deux mecs complètement étrangers aux notions de fluidité de cette plus jeune génération. Ils ignorent les possibilités de leur sexualité parce qu’on leur a dit toute leur vie : vous êtes « A » et les autres sont « B », vous êtes « normaux » ou « anormaux ». Le film se confronte à la notion de différence et à la façon dont nous refusons de l’accepter dans nos vies.
Maxime, le personnage que vous jouez, porte une tache de naissance sur le visage, une tache de vin comme dit le langage courant. Que représente-t-elle à vos yeux ?
Esthétiquement, c’est quelque chose que j’ai toujours trouvé beau chez les autres, alors qu’ils considèrent toujours que c’est laid, évidemment (rire). Pour moi, cela incarne le bagage émotionnel que portent les gens, ou, me concernant, les blessures et les faiblesses que mes amis ont apaisées.
Matthias et Maxime de Xavier Dolan. Sortie le 16 octobre 2019.