Du 5 novembre au 26 janvier, Le Jeu de Paume dresse un panorama du cinéma sud-africain à travers près d'une quarantaine de films, longs ou moyens métrages où fiction et réalité politique s'entremêlent avec fracas. Belle occasion de revoir, entre autres, le singulier et novateur 'Come Back, Africa' (1959) de Lionel Rogosin, docu-fiction séminal et fer de lance du cinéma sud-africain.
D'une certaine manière, 'Come Back, Africa' pourrait faire le lien entre les pionniers Flaherty ou Edward S. Curtis ('In the Land of the Headhunters'), le néo-réalisme italien de Rossellini et De Sica, et les films de Cassavetes. Celui-ci tient en effet autant de la fiction, plus ou moins improvisée, que du documentaire. D'abord par nécessité : traitant de la ségrégation raciale, le film ne pouvait évidemment que se tourner dans la plus complète clandestinité. Après avoir scruté les bas-fonds de l'Amérique avec 'On The Bowery' en 1956, Lionel Rogosin part ainsi tourner son film en Afrique du Sud avec un visa touristique.
Sur place, le New-Yorkais improvise ses scènes à partir d'un scénario écrit en moins d'une semaine, avec des journalistes noirs du Golden City Post. On y suit les pérégrinations de Zachariah, jeune homme venu des campagnes du Zululand pour chercher du travail à Johannesburg et qui découvre, une à une, les humiliations de l'exploitation et de l'injustice vécues par les Africains pendant l'Apartheid. Evidemment, Rogosin avait préalablement dû rédiger de faux scénarios pour les autorités, prétextant par exemple un film ethnologique sur les coutumes des populations indigènes. Alors qu'il traite, en fait, de leur oppression pure et simple.
Or, la force du film est de dépasser le stade de la nécessaire dénonciation, pour accéder à la beauté du quotidien de la culture noire de Johannesburg. Ce qui fait qu'il est aussi beau que politique. Ainsi, lorsque la caméra enregistre la chanteuse Miriam Makeba dans un « shebeen » – tripot clandestin où se retrouvent les Africains, auxquels les lois de l'Apartheid interdisent la consommation d'alcool, voire la simple entrée dans un bar. De cette précarité dérobée et tenace naît toute la grâce du film, sorte de double du 'Shadows' de Cassavetes et de 'Moi, un Noir' de Jean Rouch, sortis en 1958. Avec une attention particulière et précieuse portée à la poésie des prises brutes et de la musique.
'Come Back, Africa', de Lionel Rogosin (N&B, 82')
Cycle "Un regard de cinéma sur l'Afrique du Sud", au Jeu de Paume, du 5 novembre au 26 janvier 2014. Le programme complet ici.