Lovés dans des caves en pierre voûtées du centre historique, les clubs de jazz parisiens sont des lieux mythiques qui ont vu défiler les pointures du genre au XXe siècle. Associé à une révolution musicale, culturelle et à l'émancipation des afro-américains à sa naissance, le jazz règne aujourd'hui en maître dans les salons bourgeois bien ordonnés. Drôle de paradoxe pour une musique qui a débarqué à Paris avec la sulfureuse métisse américaine Joséphine Baker, ses bananes et son charleston, avant d'envahir les cabarets de Pigalle avec son swing pendant les Années folles.
Duke Ellington rencontre Django Reinhardt
En 1939, la guerre mondiale gronde, Paris n'est pas encore occupé par les Nazis, le pianiste américain Duke Ellington profite d'un passage dans la capitale pour rencontrer Django Reinhardt, l'inventeur du jazz manouche, qui jouait alors dans les cabarets de Pigalle. Il l'invitera sept ans plus tard à se produire à ses côtés avec son big band à New York, puis en tournée à travers les Etats-Unis. De l'autre côté de l'Atlantique, quelques jazzmen afro-américains, acclamés par les Parisiens qui découvrent ce nouveau genre musical, posent leurs valises dans la capitale française : la fièvre du be bop est née. L'un des pionniers, le saxophoniste et clarinettiste Sidney Bechet, organisera la venue de big bands de la Nouvelle-Orléans à Paris dans les années 1950. Le Caveau de la Huchette encore ouvert aujourd'hui est l'un des premiers berceaux du jazz de la capitale à accueillir Lionel Hampton, Count Basie, Art Blakey ou Bill Coleman.
Juliette Gréco rencontre Miles Davis, Boris Vian derrière
A cette même époque, Juliette Gréco, égérie de Saint-Germain et du courant existentialiste de Jean-Paul Sartre, tombe amoureuse d'un certain Miles Davis, trompettiste noir débarqué de la grande Amérique, avec qui elle renoncera à se marier face à la prohibition des unions mixtes aux Etats-Unis. Miles enregistre alors la musique du film de Louis Malle 'Ascenseur pour l'échafaud' (1958). Paris devient la favorite des grands noms du jazz, le thème classique "April in Paris" est immortalisé par Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, le saxophoniste Archie Shepp joue son libertaire free-jazz dans les clubs parisiens, Nina Simone pose ses valises à Paris et sa voix sur "Ne me quitte pas" de Jacques Brel, tous les grands musiciens installés à New York et Chicago y laisseront des souvenirs impérissables.
Roy Ayers au New Morning
Dans les années 1980, l'engouement du public crée une effervescence de la scène jazz, trois nouveaux clubs voient le jour rue des Lombards : le Sunset/Sunside, le Baiser Salé et le Duc des Lombards. Les connaisseurs donnent à l'ensemble des trois lieux le surnom de « triangle d'or du jazz ». En parallèle, Art Blakey et ses Messengers inauguraient le New Morning, l'une des meilleures salles parisiennes actuelles pour cette musique, qui a vu jouer Stan Getz, Chet Baker, Dizzy Gillespie et Miles Davis. Depuis, on voit souvent à l'affiche des principales salles de concerts et clubs des légendes qui ont joué avec tous les grands jazzmen du siècle dernier, comme Ahmad Jamal, Sonny Rollins, Monty Alexander... mais aussi les rois du jazz-funk Roy Hargrove et Roy Ayers, les pionniers du free-jazz Archie Shepp et Pharoah Sanders, les compositeurs d'électro-jazz d'Erik Truffaz, Laurent de Wilde et Julien Lourau, le jazz oriental d'Ibrahim Maalouf, l'afrobeat de Tony Allen, le hip-hop jazz d'Oxmo Puccino & The Jazzbastards... Aujourd'hui, le jazz métissé règne en maître.