Critique

Fatmeh

4 sur 5 étoiles
Le chorégraphe libanais Ali Chahrour interroge la place de la femme à partir d'une exploration des rituels funéraires chiites.
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Time Out dit

Après l'attentat du 14 juillet à Nice, certains spectacles du Festival d'Avignon ont résonné avec une force particulière. Ce fut le cas de ‘Tristesses’ de la Belge Anne-Cécile Vandalem, fable politique à la beauté spectrale sur la montée des nationalismes. Et plus encore de ‘Fatmeh’, du jeune Libanais Ali Chahrour. Alors que la plupart des pièces se sont ouvertes sur une minute de silence, le chorégraphe a opté pour son équivalent en applaudissements. Pour la vie. Pour la liberté des corps dans l'espace public, dont le climat d'insécurité actuel montre la grande fragilité. En évoquant brièvement les conditions de création de ‘Fatmehet de ‘Leïla se meurt’ (2015) – aussi programmé à Avignon – à Beyrouth, où il vit et travaille, Ali Chahrour a rappelé la géographie actuelle de la violence. Sa triste banalité dans son pays. En Irak et en Syrie.

Focus Moyen-Orient 

Créé à partir d'une recherche sur les rituels de deuil dans le Liban chiite, ‘Fatmeh’ n'a en soi rien d'un hommage à tous ceux qui meurent du terrorisme. Il le devient par la force des événements, preuve de son ouverture à l'interprétation. Chorégraphie à base largement ethnologique, cette pièce est le résultat d'un inventaire minutieux des gestes de la mort. Contrairement au Syrien Mohammad El Attar, dont la pièce ‘Alors que j'attendais’ mise en scène par Omar Abusaada a ouvert le focus Moyen-Orient, Ali Chahrour ne cède pas au désir de produire un discours pleinement compréhensible par un public occidental. S'il fait danser des personnes dont ce n'est pas le métier – Rania Al Rafel est vidéaste, Yumna Marwan comédienne et Leïla Chahrour de ‘Leïla se meurt’ est une pleureuse libanaise  – ce n'est pas pour activer des clichés orientalistes, mais pour travailler la sincérité du geste déplacé de son contexte d'origine. Sa fragilité.

Divisé en trois parties aux titres peu éclairants pour un public non initié aux branches mystiques de l'islam - "Absence", "L'Impénétrable" et "Le Bien Aimé" -, ‘Fatmeh’ renvoit à une figure centrale de l'islam : Fatima Zahra, la fille du prophète Mahomet qui n'a pu revendiquer son héritage. Morte de tristesse après la disparition de son père, elle lui a dédié de nombreuses lamentations, dont une est dite pendant le spectacle. Sans traduction, tout comme la chanson de Oum Kalsoum - « fille d'un imam du Caire et qui s'appelait en réalité Fatima », précise le chorégraphe sur la feuille de salle  – qui accompagne le premier mouvement du spectacle. Où les deux interprètes se frappent la poitrine jusqu'à un état proche de la transe. 

Jeu de contraires 

‘Fatmeh’ oscille entre profane et sacré. Entre peine chantée sans pudeur et flagellation rituelle. Dès les premières minutes du spectacle, lorsque Rania Al Rafel et Yumna Marwan ôtent leurs vêtements de ville pour enfiler des robes noires, est aussi introduite la relation entre visible et invisible – mastour et makchouf–, très étroite dans le soufisme. Pour Ali Chahrour, ce jeu des contraires ne fait pas que questionner la place de la religion dans les sociétés arabo-musulmanes. Il interroge la liberté de la femme. Ses marges de créativité dans des cadres traditionnels rigides. Si l'on peut regretter de ne pas saisir tous les signes et références qui nourrissent le spectacle, on ne peut que saluer le refus d'Ali Chahrour des formats occidentaux et/ou mondialisés pour beaucoup sans caractère. Le chorégraphe réfléchit pour et avec les siens, et c'est cette démarche qui nous est donnée à voir. Cela vaut bien quelques efforts de compréhension...

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De 6 à 25 €
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