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Avec les belles culottes de gendarme que revêt le ciel ces derniers jours, les places en terrasse sont aussi prisées que les quais de Seine et les derniers épisodes de Game of Thrones. Si, chanceux, vous avez réussi à dégoter une table sous le soleil exactement, vous rencontrerez probablement de drôles d'oiseaux. Sur le coup de 15h, avenue Jean Jaurès, nous avons eu la chance d'en observer huit spécimens.
1. Le Rapace
La veste à la main, Monsieur Rapace a déjà repéré sa proie : la place que vous attendez patiemment et poliment, prenant soin de ne pas presser le déjeuner tardif d'un couple de touristes. Vous lui jetez un regard ferme mais courtois, histoire qu'il comprenne que vous ne lui ferez pas cette faveur. Mais d'un œil noir et sournois, l'animal vous défie et ne s'en cache pas. En une fraction de seconde, cet oiseau de malheur se jette sur VOTRE table ensoleillée pour y faire son nid, et naturellement, il baisse maintenant le bec pour dissimuler son sourire triomphant. Vous jugez finalement inutile de discuter avec ce genre d'individu auquel le savoir-vivre fait manifestement défaut, et optez pour une autre terrasse, ou une place à l'ombre.
2. Miss Sunshine
Au premier rayon de soleil, la Miss Sunshine parisienne n'a qu'une idée en tête : bronzer ou, autrement dit, se dénuder un maximum. Alors qu'il fait une vingtaine de degrés, elle et sa copine férue de potins arborent un petit short taille haute et un crop top qui a plutôt l'air d'une brassière. Aucune n'a de lunettes de soleil, probablement pour prévenir d'éventuelles marques disgracieuses. A la prochaine hausse des températures, elles s'enduiront probablement d'huile comme des petits poulets prêts à être enfournés.
3. Le Lecteur du Monde Diplo
Riche de ses 60 ou 70 ans, papy cendar est absorbé par Le Monde Diplomatique et ne relève les yeux que quand son verre de pastis est vide. Il lève alors une main distraite avant de se replonger dans sa lecture. Il est très difficile de croiser son regard, mais on pourrait l'observer longuement avec son cigare dans la main gauche, léchant son index droit pour tourner les pages de sa bible grand format.
4. L'Impatiente en rendez-vous
A quelques détails près, on pourrait prendre cette fille scotchée à son smartphone pour une énième geek des temps modernes, clope électronique au bec, l'air faussement préoccupé. « J'attends quelqu'un », dit-elle au serveur. On la voit alors trépigner et, vaguement inquiète, guetter le moindre mouvement d'aiguille de sa montre rose bonbon. Sait-elle seulement que le plaisir est d'abord dans l'attente ?
5. Le Procrastinateur-Observateur
L'homme qui sirote un demi de blonde, jambes croisées, regard inquisiteur et baladeur, a le mérite de ne pas faire semblant de s'adonner à autre chose. Il est clairement ici pour procrastiner, regarder passer les gens et zieuter les premières jupes pour un jeu de dupe. Chômeur, étudiant, intermittent, rentier, freelance ou chanceux ? Vous vous posez toujours la question quand vous passez devant lui et ses congénères en allant bosser. Mais pas d'incrimination, si vous le voyez, c'est bien que vous l'observez vous aussi !
6. L'Indécise
La trentaine bien trempée, cette femme assume son caractère indécis et ses désirs incertains : après avoir demandé la carte et l'avoir longuement scrutée, elle demande un délai supplémentaire, car elle n'a pas encore choisi. Le serveur revient, elle hésite encore, opte pour une noisette puis se ravise en prétextant qu'un Perrier citron la rafraîchira davantage. La commande est passée, mais l'on sent bien que pour cette nietzschéenne du breuvage, « choisir, c'est renoncer ».
7. Le Bavard
Les nombreux cafés en terrasse ne sont qu'un prétexte pour faire parler Monsieur Bavard, de tout et de rien bien entendu. Du dernier film qu'il a vu, de la météo du week-end, de musique, de pollution, de son patron ou de sa petite ligne de chance. Au milieu du groupe, sa voix résonne plus fort et plus souvent que celles de ses condisciples. Malheureusement pour eux, c'est très souvent pour se plaindre que ce monsieur ouvre grand la bouche : « Le cinéma n'est vraiment plus c'qu'il était », « Comme par hasard, y f'ra mauvais c'week-end », ou « Les gens ont clairement des goûts musicaux de chi***es. » Cela dit, il paraît que râler est bon pour la santé - pourquoi s'en priver ?
8. L'Étudiant
Reconnaissable à sa petite trousse en cuir et ses fiches bristol « stabilotées » maladroitement, l'étudiant a un rapport moins enthousiaste au soleil. Si pour vous, l'été rime avec bonheur, pour lui, c'est une torture, comme si la nature elle-même voulait qu'il rate ses examens qui approchent à grands pas. Il doit en effet rester enfermé chez lui ou à la bibliothèque toute la journée et bachoter avec application. Enfin ça, c'est la théorie. Parfois, il s'autorise une révision au soleil pour ne pas finir tout blanc au mois de juin. Mais quoi de pire que de travailler en terrasse ? Ni vraiment concentré (son regard distrait papillonne de la bouche de métro au moineau affamé pour s'attarder à la table de sa jolie voisine), ni vraiment décontracté, l'étudiant en terrasse est mal à l'aise. Les feuilles de ses cours s'envolent, la lumière aveuglante du soleil masque l'écran de son ordinateur portable, la chaleur le fait transpirer et le bruit réveille ses troubles de l'attention. Vous compatissez : vous étiez à sa place il n'y a pas si longtemps.