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On se pince, mais on ne rêve pas : le titre de l'article du Parisien s'intitule bien « Ces expatriés japonais ramassent les déchets des Parisiens ». Il y est fait mention d'une association japonaise, Greenbird, dont les membres ont décidé de nettoyer les grandes villes. Leur activité a débuté en 2003 dans un quartier de Tokyo avant d'essaimer partout dans l'archipel et... à Paris en 2007 ! Régulièrement, des articles de presse sont dédiés à ce mouvement, qui grossit certes, mais tout doucement - si on croisait à chaque coin de rue un Japonais en train de ramasser le clope qu'on vient d'écraser, ça se saurait.
La motivation de ces gens reste floue à nos yeux : veulent-ils qu'on les imite ? Agissent-ils pour tromper l'ennui ? Non, c'est tout simplement plus fort qu'eux, dès qu'ils aperçoivent un sac plastique coincé sous un pneu, il FAUT qu'ils le sauvent. A chaque nation son atavisme, le Français étant irrésistiblement mû par une curiosité scientifique qui le pousse à vérifier la théorie newtonienne de l'attraction terrestre. Tout ça ne serait rien si une idée n'avait pas germé dans notre cerveau : Paris comptant un grand nombre de touristes étrangers, pourquoi ne pas profiter des qualités de chacun pour aider les Parisiens ?
1. La ponctualité : les touristes suisses.
Qui, à Paris, oserait arriver à l'heure à une invitation à dîner ? Pas grand monde, et il est connu que pour un Parisien, l'heure d'un rendez-vous correspond davantage à une sorte de repère vague sur l'échelle d'un temps millénaire qu'à une indication précise. On dit « Rendez-vous à 19h30 » mais on pense « Rendez-vous dans la grotte au tomber du soleil », un peu comme au paléolithique supérieur. A l'heure du capitalisme financier, où le temps c'est de l'argent, un tel comportement n'est plus tolérable. Imaginez un peu un quota de touristes suisses, lesquels ont inventé les montres et la ponctualité, qui se déplaceraient à notre place, au bon endroit au bon moment. Ce serait chouette ou bien ?
2. La sécurité : les touristes (militaires) américains.
Lorsqu'un badaud se prend une raclée dans la rue, le Parisien respecte la loi tacite du combat et, lui qui est si peu suisse quand on parle de ponctualité, fait soudain preuve d'une neutralité toute helvète. A Paris, on sait se battre mais on a compris depuis longtemps les vertus immortelles de la fuite, qui est le courage de ceux qui sont toujours vivants. En revanche, un Américain n'aime rien de plus que mourir en héros, là-bas c'est presque une matière à l'école. A peine voit-il un danger qu'il saute à pieds joints dedans pour cogner un grand coup. On aimerait bien une petite légion d'Américains en vacances prête à bondir en claquettes à chaque fois qu'un ado se fait tirer son portable dans le métro. Attention quand même aux dérapages : ils sont capables de cribler de balles le vendeur de roses pakistanais qui vous importune en criant : « Put down the roses, motherfucker !! »
3. Râler contre le coût de la vie : les touristes anglais.
Le Parisien trouve tout trop cher, même l'argent (vous vous souvenez de la chanson de Téléphone ?). La vision du loyer sur la quittance provoque chez lui une rage aussi éclatante que lorsqu'il lit le prix du pain chez le boulanger, ce qui prouve bien que ce n'est pas tant une question d'argent que de principe. Le Parisien trouve ainsi le prix d'un café avenue de l'Opéra « proprement scandaleux », le coût d'un cocktail dans le Marais « carrément abusé », le tarif de la baguette à Barbès « honteux ». Ne pourrait-on pas imaginer les Parisiens contraints de sortir accompagnés d'un touriste anglais qui, à chaque étape de la journée, leur rappellerait l'équivalent londonien de ce que nous dépensons. « 'Tain, j'en ai eu pour 11 € ce midi. » « Shut up, you bitch, je dépense 20 pounds à le pause déjeuner tous la jour ! » De quoi nous permettre de relativiser just a little bit.
4. Le Spritz : les touristes italiens.
Paris s'est découvert une tardive passion pour le Spritz, cet apéritif vénitien d'origine autrichienne, au point d'ouvrir un bar dédié à cette boisson. Seul souci, puisqu'il faut mélanger des ingrédients, les Parisiens pensent qu'il s'agit d'un cocktail ! Et qui dit cocktail dit dépenses vertigineuses (de l'eau, de l'Aperol, du vin pétillant bas de gamme, une olive et une tranche d'orange), lesquelles se reportent évidemment sur le prix : comptez 8 à 11 € le Spritz à Paris alors qu'il coûte 2,50 € à Venise. On aimerait bien mettre un touriste italien derrière chaque « mixologiste » parisien, histoire de lui expliquer l'esprit d'un aperitivo : « Ma perché tou sécou lé buon spritz comé sa dans oune boite ? Tou mélange vite fatto et tou mé oun olive et basta cosi ! »
5. Le tri sélectif : les touristes allemands.
La bouteille de pif part dans le container à verre, ok, mais le bouchon en liège, où va-t-il ? Le carton et les emballages se glissent dans la poubelle jaune, ça c'est bon, mais le sac plastique dans lequel on a tout fourré, lui n'y va pas ? Le compost, c'est pas la machine qui fait des trous dans les billets de train ? Le Parisien n'a pas encore compris toutes les subtilités du tri sélectif, et la propreté de Paris ne l'aide pas toujours dans sa lutte. Avec les touristes allemands, finis les soucis ! Donnez-leur votre poubelle, ils s'occupent de tout, les plus zélés repartant au pays avec vos déchets dans leurs valises, histoire de mieux trier tout ça à Francfort, Munich, Berlin ou Hambourg.
6. La gentrification : les touristes grecs.
Que redoute le plus un Parisien, avant même la queue au supermarché, les Jeux Olympiques en 2024, la fête de la musique ou prendre la ligne 13 ? La gentrification, bien sûr ! Elle est l'ennemi numéro un du Parisien, qui guette le moindre signe d'amélioration de son environnement pour pester contre elle. Un lieu nouveau et cool, un bâtiment réhabilité, des pistes cyclables, des murs végétalisés, du sable sur les berges, autant de visions d'horreur qui font de la capitale un lieu atrocement vivable. Confiez donc la gentrification aux touristes grecs et tout ira mieux. Après quelques années de chantiers interrompus, de comptes maquillés et d'endettement auprès de types véreux, vous obtiendrez enfin la paupérisation de certains quartiers. Crimes, chômage, logements insalubres et pinte à 4 €, c'est le Paris d'antan qui revit !
7. Le shopping de luxe : les touristes qataris.
Ok, ça existe déjà et ça s'appelle le PSG. Mais reconnaissez que faire les boutiques avec un copain qatari, c'est plus sympa qu'avec un ami grec, cela dit sans vouloir vexer personne.
8. Le Vélib' : les touristes hollandais.
Depuis que le Vélib' a été inventé, le Parisien a redécouvert la bicyclette. Au grand dam des automobilistes, qui rêvent plutôt de transformer le canal Saint-Martin en autoroute urbaine et les rues piétonnes en voies rapides pour faire des pointes à 110. Ce n'est pas tout : le Parisien possède son code de la route à lui, unique, avec une seule page et une seule phrase en plein milieu : « Fais tout ce que tu veux, champion, t'es le roi du bitume ! » Il est temps de remplacer, au moins quelques semaines par an, tous les cyclistes de la capitale par des Hollandais roulant. Chez eux, le vélo est une seconde peau. Non seulement ils reconnaissent les panneaux sens unique, mais ils les respectent ! Au feu rouge, ils ne se contentent pas de marquer le stop, mais ils le font en file indienne, pile poil où c'est indiqué de s'arrêter. Des pros.