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A Paris, le bondage à la japonaise a désormais son spot

Houssine Bouchama
Directeur de la rédaction, Time Out Paris
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Elle est immobile, suspendue au-dessus d’une scène sombre et nue. Bâillonnée par un tourbillon de cordes, la femme, presque inconsciente, atterrit progressivement sur le sol. Elle semble hagarde, se démène, virevolte pour s’extraire du nœud ligotant ses bras derrière le dos. Elle ? C’est Sara Forestier, vedette du seul et unique clip de la carrière de Christophe. Et cette vidéo, dont on peut applaudir l’esthétique, prouve que le shibari se démocratise un peu plus, que les clichés qui brident encore et toujours la pratique se dénouent.

Importé tout droit du Japon, et s’inspirant à l’origine du jiu-jitsu, ce bondage version nipponne consiste à attacher son partenaire comme pour tisser des liens avec lui. Largement récupéré par le milieu SM à des fins sexuelles, cet art s’en détache pourtant radicalement. Il suffit de se rendre au fin fond d’une cour du 19e arrondissement, à Place des Cordes, pour briser ses derniers préjugés. Pas de menottes, de fouet, ou d’habits noirs en cuir près du corps. Pas même l’ombre d’une orgie ou d’une exaltation charnelle. Un topless tout au plus. La volonté affichée ici est clairement de délaisser le cul pour se concentrer sur l’essentiel : se ligoter. « Pour moi, on est à mi-chemin entre la danse, le yoga, les arts martiaux et le massage », explique Cyril, l’un des fondateurs du lieu ouvert depuis bientôt deux ans. « Dans le bondage, tu peux immobiliser quelqu’un en trente secondes avec des menottes. Dans le shibari, avec les cordes, ça peut prendre plusieurs heures. »

© Amaury Grisel

La pratique se fait dans une ambiance très apaisée et lumineuse. Passé la porte, on ôte ses chaussures et on chuchote pour ne pas perturber le calme qui règne. On nous sert même du thé en guise de bienvenue. Les cordes pendent du plafond boisé même si, ce jour-là, la suspension a laissé place au travail au sol. La trentaine de personnes, de tous âges et tous milieux sociaux, apprennent et découvrent de nouvelles techniques pour attacher leur partenaire. Les cordes se chevauchent sensuellement sous le regard attentif de Cyril. Et progressivement, les soupirs et les regards hallucinés s’installent, le plaisir et la douleur se mêlent, une énergie se lie au travers des nœuds.

Ici et là, tous semblent être pris dans état second, comme drogués. « Ca crée des émotions que je n’ai jamais eues » confie Charles, agent de sécurité qui pratique le shibari depuis deux mois, et qui vient quatre fois par semaine pour « oublier [son] quotidien. En étant ligoté, tu lâches prise et tu rentres presque en transe. Et puis la douleur c’est ce qui te fait sentir en vie. » Même son de cloche pour Agathe, provenant à l’origine du milieu SM. « C’est un peu comme la méditation : avec de l’entraînement, on lâche prise plus facilement. » Mais son truc à elle, c’est surtout d’attacher. « J’aime le côté esthétique qui se dégage du résultat, et le fait de contrôler son partenaire avec tout le jeu de rôle qui s’installe. Mais je ne le fais qu’avec des gens en qui j’ai confiance, avec qui j'ai l'habitude. Je sais exactement où poser les cordes sans faire trop mal. »

© Stéphane Portier

Faire trop mal, c’est un peu le risque de la pratique. Sur Internet, le shibari habite toujours la rubrique « faits divers » de certains médias et traîne, parfois, une mauvaise réputation. Pour Cyril, « c’est comme le judo. A l’origine, c’est un sport fait pour tuer, tu peux étrangler quelqu’un, lui déboîter l’épaule. Maintenant que c’est démocratisé et contrôlé, tout le monde en fait. »

Pas simple, pourtant, de le démystifier auprès de ses proches. Si Amaury, photographe qui trouve son inspiration dans le shibari depuis six ans, a très vite partagé son travail sur les réseaux sociaux, difficile de justifier son chemin auprès de sa famille. « Mes parents l’ont su il y a un peu plus d’un an, ce n’était vraiment pas simple. Ma mère est toujours dans l’incompréhension, elle ne comprend pas ce qu’il y a de plaisant et d’artistique là-dedans. »

L’art, c’est pourtant le terrain que le shibari entend conquérir. Difficile de nier le potentiel visuel de ce bondage japonais et son univers qui regorge d'innombrables voies artistiques. La vidéo de Christophe en est la preuve, l’exposition d’Amaury au Yono ou celle du célèbre Nobuyoshi Araki au musée Guimet le confirment. Bientôt, Cyril entend même amener les cordes sur les planches d'un théâtre. Preuve que la longue marche vers la démocratisation est en route. Qui sait, dans quelques années, le shibari aura peut-être quitté le microcosme et l'underground d'une salle parisienne pour devenir, définitivement, une pratique comme les autres.

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