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Avec ses petites lunettes rondes, sa marinière et son toupet blond, il est installé, bien calé dans son transat devant l’hôtel de La Monnaie, mélange de Tintin et Daniel Conh-Bendit : « On me dit plutôt que je ressemble au mec de la télé là, Ruquier », nous précise Alain Huchet, bouquiniste gastronomique.
Impossible de rater son stand, quai de Conti, surplombé de l’enseigne rétro d’un cuistot qui tient entre ses mains un menu annonçant : « Alain Huchet. Livres de gastronomie, vin, menus, gravures. » Dans ses « boîtes », comme on appelle les contenants verts typiques des quais parisiens, des livres de cuisine anciens et modernes donc, mais aussi des vieilles affiches publicitaires graphiques pour la Suze ou les digestifs Dubonnet, des menus anciens et une pile de guides Michelin des années cinquante à aujourd’hui. Alain est un passionné, il collectionne les livres depuis vingt-cinq ans : « J'allais à Drouot, tous les libraires spécialisés me connaissaient. »
Cela fait dix-sept ans qu’il tient sa « bouquinerie », mais ce titi amical a toujours baigné dans la cuisine. Il commence sa carrière à 16 ans comme apprenti cuisinier à Nantes, puis sera chef de cuisine en Arabie saoudite pour le groupe Accor et enfin intendant dans un lycée pendant douze ans. Il a attendu dix ans pour obtenir ces fameuses boîtes vertes délivrées par la ville de Paris : « J’en ai quatre de 2 m2, soit 8 m2, c’est la norme. Avant, il n’y avait pas de bouquins de cuisine sur les quais. »
Il salue les passants, renseigne les touristes, blague avec un guide : « Alain is a big chef », nous dit-il. Pour les bouquinistes, les aléas de la météo déterminent le rythme de leur travail, l'actualité aussi : « C’est dur depuis le 13 novembre », confie-t-il. Des touristes américaines feuillettent les guides Michelin : « You are looking for your birthday ? », demande Alain goguenard. « Beaucoup de personnes prennent le Michelin de leur année de naissance », nous précise-t-il. Un couple de jeunes Québécois choisit des affiches : « Quatre pour 13 euros ? » demande le jeune homme. « Vendu », répond Alain.
« J’ai beaucoup de touristes mais pas que, il y a aussi des curieux, des personnes qui cherchent les livres de cuisine qu’ils avaient enfants et aussi des grands chefs, comme Guy Savoy qui tient le restaurant de hôtel de la Monnaie juste en face ! »
En effet la sélection est pointue avec des classiques de la cuisine française comme 'Le Larousse gastronomique', 'Le Guide culinaire' d’Escoffier ou 'L’Atelier' de Ducasse, mais aussi, des raretés que l’on peut consulter sur le catalogue qu’Alain édite deux fois par an. Son livre le plus précieux du moment ? 'Le Cuisinier François', publié pour la première fois en 1654. Ce livre écrit par La Varenne, cuisinier apprenti chez la Duchesse de Bar, sœur d’Henry IV, fut considéré comme un souffle de modernité à l’époque, le cuisinier fut l’un des premiers notamment à s’intéresser aux légumes et à leur assaisonnement. Cet ouvrage de 1656, huitième édition, extrêmement rare, est vendu 10 000 €.
Les reproductions des vieux menus d’époque, eux, font saliver comme ce repas présidentiel du dîner du 15 janvier 1964, donné par le général de Gaulle à l’Elysée pour le premier ministre du Canada et son épouse : « Turbot farci Amiral, sauce Nantua / Côte de bœuf Renaissance, Jardinière de Primeurs / Salade Evelyne / Fromage / Ananas givré opéra », le tout accompagné de clos Vougeot 1957 et de veuve Clicquot 1959… Et d’ailleurs, Alain cuisine-t-il ? « Oui, je suis un très bon saucier, mais je n’ai pas besoin de livres. Tout est dans ma tête ! »
Les conseils d'Alain. Quel livre acheter pour :
Débuter la cuisine ? 'La Librairie gourmande' d’Escoffier
Offrir un très beau cadeau ? Un vieux beau livre, comme 'L’Art de la cuisine du XIXe' (450 €)
Un enfant ? 'La pâtisserie est un jeu d’enfants', Michel Oliver
Où ? • Alain Huchet, 7 quai de Conti, face à l'hôtel de la Monnaie entre le Pont-Neuf et la Passerelle des Arts, Paris 6e.
Quand ? • Tous les jours pourvu que le soleil brille.