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Trois ans après 'Rhapsode', Forever Pavot revient avec 'la Pantoufle', toujours chez Born Bad Records. Emile Sornin, tête pensante du groupe, nous parle de ce disque où il expérimente toujours plus, chatouillant la ténue frontière entre le terrifiant et l'excitant. Le genre d'album où l'on est bien, idéal pour passer l'hiver au chaud.
S'interroger. Telle est l'essence de la musique de Forever Pavot. S'interroger sur les sonorités et les réactions émotionnelles, physiques et sociales qu'elles provoquent. Il y a de cela un an, c'est dans le cadre d'un rendu estudiantin que je m'étais interrogé sur l'œuvre de Forever Pavot. A l'époque, c'est avec curiosité que je questionnais le projet 'Forever le Bon Coin'. Ce documentaire voyait Emile Sornin se balader sur les routes de sa Charente-Maritime natale en quête de fragments sonores produits par des instruments repérés sur le Bon Coin. J'avais été marqué par cette joie enfantine constante qu'éprouvait le compositeur en faisant ses découvertes et je ne voyais pas comment cette expérience n'influerait pas sur son prochain disque.
De fait, on n'a pu s'empêcher de voir de nombreux clins d'œil dans 'La Pantoufle'. Cet album est un polar. Tant au niveau des titres des morceaux que des ambiances, on est plongé dans un monde embrumé, lointain presque parallèle. Pour Emile Sornin, ce monde est tout à fait familier, c'est le sien. Construit autour de ses racines, de sa récente paternité ou encore de ses blagues jogging [running joke] avec les membres de son groupe, ce disque est un livre à multiples entrées. Même si l'histoire de cette pantoufle évoque autant 'L'Homme à la tête de chou' de Gainsbourg que le générique de "Faites entrer l'accusé", on ne cesse encore de s'interroger sur son aspect indéfinissable. Entretien avec Emile Sornin, compositeur de la bande-son d'un monde perdu.
Time Out Paris : Emile, dis-moi, 'Forever le Bon Coin', c'est ce qui t'a lancé vers la "Pantoufle" ou était-ce au contraire une annonce cachée de l'album ?
Forever Pavot : Ni l'un ni l'autre ! Il y a des instruments que j'ai découverts avec le Bon Coin qui ont été utilisés sur 'La Pantoufle' mais ce sont des choses complètement différentes. 'Forever le Bon Coin' fut une expérience bien précise, ce n'était pas un truc travaillé à l'avance. L'idée était de capturer des moments improvisés. A l'époque, je ne savais pas encore si l'on allait sortir un disque ou pas.
Parce qu'en fait, j'ai toute une théorie qui dit que de nombreuses sonorités et titres seraient des clins d'œil entre les deux projets. [Je cite plusieurs exemples qui pourraient faire l'objet d'un article à eux seuls]
FP : [Rires] C'est fou parce que tout ça n'était pas du tout réfléchi. Je pourrais démonter chacun de tes recoupements mais en soi, ça se tient très bien. Ce que je dis beaucoup à la presse, c'est que j'ai l'impression d'avoir fait mon premier vrai album. La période du Bon Coin coïncide avec ce moment où j'ai trouvé ma patte « musique de films ». Et surtout, j'assumais le fait que c'était la musique française des années 1970 qui m'inspirait le plus ! J'essaye vraiment de remettre au goût du jour cette pop française. Pour ce qui est des titres de chansons, c'est un pur hasard ! Par exemple "Père", ce morceau un peu baroque joué à la Walter Carlos au synthétiseur, c'est une blague avec les membres du groupe. Ils se moquent de moi quand je joue ce genre de sonorités en prenant un air bourgeois et en me disant : « Pèèèère, qu'allons-nous jouer maintenant ? » En fait, Forever Pavot, c'est souvent ça, des blagues, des quiproquos, des accidents.
A l'Eindhoven Psych Lab en juin 2016, nous avions échangé quelques mots au bar et tu m'avais appris que tu venais d'être papa. Alors 'La Pantoufle", c'est un hommage à ton fils ?
FP : Forcément, j'ai été influencé par ça. Mais je parle davantage de l'enfance, des souvenirs que j'ai, de mes racines : la pantoufle, la charentaise, le patois charentais.
Ton premier EP s'appelle 'Christophe Colomb', tu revendiques l'héritage des compositeurs italiens des musiques de film et ta pochette aurait pu être peinte à la Renaissance. Pourquoi l'Italie ? Et de quand date cette attirance ?
FP : C'est un petit peu moins ma lubie aujourd'hui. Mais c'est vrai que ce sont vraiment les B.O. de films et les disques d'illustrations sonores de librairie qui me passionnent. Ça vient de ma période hip-hop où je cherchais des samples. Et je me suis rendu compte que les trucs que j'aimais venaient des B.O., du rock psyché, progressif et des libraires sonores. Et ce qui me plaisait les plus, c'était ce qui venait de l'Italie. Il y a quelque chose de tellement sacré dans cette musique que ça la rend terrorisante. Par exemple, le clavecin, c'est quelque chose que je trouve très flippant.
Et ta lubie du moment ?
FP : J'ai eu un moment où j'ai beaucoup écouté de la musique concrète, genre Pierre Schaeffer, Pierre Henry ou Patrice Sciortino.
Dans "Le Beefteck", qu'il s'agisse de ta diction ou du thème de la chanson, cela me fait énormément penser à 'L'Homme à la tête de chou'. Est-ce voulu ?
FP : Alors pas du tout ! Je n'y avais pas du tout pensé.
J'avais même envie de te poser une question du genre : 'La Pantoufle' est-elle 'L'Homme à la tête de chou' de Forever Pavot ?
FP : Oui et non ! C'est intéressant parce que la première chanson que j'ai écrite, c'était "La pantoufle est dans le puits". C'est avec elle que j'ai trouvé le fil rouge de l'album. Cette chanson est un souvenir d'enfance un peu absurde, je me suis dit que je devais créer l'histoire de cette pantoufle en l'humanisant. Sauf que c'est très dur ! Je n'y arrivai pas mais j'ai tout de même gardé la pantoufle.
Je suis preneur de l'histoire de la pantoufle dans le puits.
FP : C'est mon frère qui m'a raconté cette histoire. J'avais perdu ma pantoufle dans la maison de mes grands-parents. Tout le monde s'était mis à la chercher et à un moment donné, mon frère me demande si je l'avais pas mis dans le puits et j'ai répondu « oui ! » très sérieusement. Ce n'était bien entendu pas vrai mais il devait y avoir une envie d'aventure.
Je trouve que cet album est très...
FP : [Rires] Très réussi ! Je crois que c'est ça que tu voulais dire !
Très narratif et évolutif. Une narration qui se balade entre l'enfance, la paternité ou encore le meurtre.
FP : Je voulais faire une histoire logique. Là, ce n'est pas une histoire avec un début et une fin mais on comprend que tout se suit grâce à l'ambiance générale. L'ordre n'a pas d'importance et les gens peuvent s'inventer leur propre histoire. "Le Beefteck" n'a pas de rapport avec la pantoufle mais si tu fais des recherches, "La Soupe à la grolle", c'est une recette charentaise à base de corbeaux du temps de la guerre [la grolle signifie « corbeau » en patois charentais, nda]
A côté de la douceur de 'La Pantoufle', il y a quelque chose de violent avec par exemple, la lecture de tes droits par Fabrice Gilbert de Frustration. Tu parles également « des cordes trop serrées ». Existe-t-il deux Forever Pavot ? Un conteur et un psychopathe ?
FP : Non non ! C'est marrant, où vois-tu de la violence ?
Dans "hutre" et "les cordes".
FP : C'est une enquête, c'est toi qui penses que c'est violent. Pour les cordes, c'est le personnage, un peu timide qui dit « désolé, j'avais peut-être serré les cordes un peu trop fort ». Mais à aucun moment, je dis que je l'étrangle et même que c'est une femme. C'est sans doute la musique qui est un peu terrorisante.
Du coup, qu'est-ce qu'un/une hutre ?
FP : C'est une faute de frappe, je voulais écrire huître...
Cette faute de frappe et ce néologisme sont très représentatifs de ta musique, que j'aime définir comme étant la bande-son d'un monde perdu. Cela aurait très bien pu être de l'argot, du vieux français ou du patois. Forever Pavot serait-il le Alphonse Boudard de l'indé français ?
FP : Non, plutôt le Bernard Pavot !
L'année dernière, pour un rendu de semestre, j'avais écrit un article sur 'Forever le Bon Coin' et la notion de curiosité. Vois-tu ta musique comme savante, potentiel sujet de science ?
FP : Cela serait très prétentieux de le penser et surtout de le dire ! Mais il est vrai que j'aimerais beaucoup lier ma musique à la science.
Il y a toujours eu de la flûte sur Forever Pavot. King Gizzard l'utilise aussi pas mal. En 2017, faut-il jouer de la flûte pour faire de la musique psychédélique ?
FP : Si tu savais le nombre de personnes qui me parlent de Jethro Tull ! King Gizzard, je n'ai pas plus écouté que ça. En 2017, je trouve que ce qui est intéressant, c'est d'amener des nouveaux instruments. Aujourd'hui, les gens en ont marre du trio basse-batterie-guitare et même pire, des PAD ! Je n'en peux plus des gens qui ne jouent même pas en live, c'est d'une tristesse ! Bouge-toi et joue vraiment !
C'est de la fainéantise.
FP : C'est ça. Travaille ton instrument ! Par exemple, ce qui me touche en concert, c'est de voir des musiciens avec un côté enfantin, presque jubilatoire et surtout découvrir de nouvelles sonorités. J'ai vu très peu de groupes qui m'ont mis des claques. Regarde le groupe France qui joue avec une vielle à roue, c'est magnifique ! Disons que le combo « compo un peu moyenne-pas d'instrument-samples », là, je dis NON !
'La Pantoufle' disponible ici !
Forever Pavot en concert à la Maroquinerie le 15 mars 2018 (billetterie ici).