[title]
Timing parfait : alors que 2017 célèbre le centenaire de la mort du sculpteur Auguste Rodin, le musée dédié aux travaux de sa plus fameuse élève - mais aussi muse et maîtresse - a ouvert ses portes le 26 mars, loin de l’ébullition parisienne.
Il y a bien des raisons pour aller visiter le nouveau musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine. D'abord, parce qu'il a le mérite de mettre (il était temps !) en lumière l'immense talent d'une artiste féminine autrement que le temps d'une exposition saisonnière. Ensuite, parce qu'il offre, au cœur de ses 2 600 m2 d'espace, une rétrospective non exhaustive mais très complète de la sculpture, discipline trop peu représentée au sein des institutions. Pour finir, parce qu'en incitant la culture à sortir de la capitale, le musée Camille Claudel démontre que les villes périphériques ont, elles aussi, un rôle primordial à jouer dans la diffusion de l'art à tous les publics.
Et si c'est à Nogent-sur-Seine, à l'emplacement même de la maison d'enfance de l’artiste, que ce nouvel établissement a été érigé, ce n'est pas par hasard : cette commune d’environ 6 000 âmes, située à seulement une heure de Paris, était autrefois un vivier de sculpteurs. Outre Camille Claudel, Alfred Boucher, Marius Ramus et Paul Dubois ont également vécu ici, entre les murs des typiques petites maisons de briques rouges parmi lesquelles le musée s'implante aujourd’hui sans heurts. Son architecture cubique, forgée de grandes baies vitrées et de couleurs neutres par Adelfo Scaranello, s'inscrit en effet dans le paysage historique de Nogent comme un bâtiment moderne mais pas défigurant. Pour cause : de l'intérieur à l'extérieur, tout à été mûrement réfléchi.
Un projet de longue haleine
C'est en 2003, devant le succès d'une exposition consacrée à Camille Claudel à Nogent-sur-Seine, que germe l'idée d'un musée regroupant l'essentiel de ses œuvres. Une partie étant issue des collections privées de la petite-nièce de l'artiste, Reine-Marie Paris, une autre constituée de pièces acquises année après année, telles la ‘Tête d'Hamadryade’ ou ‘L'Implorante’. Prévue pour 2014, l'ouverture des lieux sera pourtant repoussée en raison de déboires et de surcoûts. Ce n'est finalement qu'au printemps 2017 que le musée sort de terre, mais cela valait le coup d'attendre !
Présentant 200 sculptures dont 43 œuvres de Camille Claudel – soit la plus grande concentration de créations de la sculptrice dans une institution –, le musée qui porte son nom rassemble également les collections de l'ancien musée Dubois-Boucher, qui compte parmi elles de nombreux virtuoses d’avant-garde (Jules Desbois, François Pompon, Antoine Bourdelle ou encore Auguste Rodin). Une compilation de chefs-d'œuvre et une mosaïque de styles qui donnent la sensation de visiter un atelier d'artistes plus qu'un musée.
D'autant que les pièces ne sont, pour la plupart, pas enfermées sous des vitrines mais exposées à l’observation de tous, nues pour mieux s’offrir à notre vue. Le moindre de leurs détails peut ainsi être scruté et surtout magnifié par la lumière naturelle qui éclabousse les vastes espaces, révélant les aspérité de la matière et permettant d'apprécier comme il se doit les coups de cisaille, les traces de doigts dans les modelages, la veinure des marbres... On tourne autour des rondes-bosses, on caresse du regard les traits de ‘La Vieille Hélène’ ou les cheveux mouvants de ‘L'Aurore’ : les œuvres respirent et nous avec.
Camille Claudel : épicentre et prétexte
Sous-estimée par ses pairs parce que femme, délaissée par son amant Rodin, internée puis décédée dans l’indifférence de ses proches comme de ses contemporains, Camille Claudel a eu un destin dramatique, pour ne pas dire tragique. Et c’est malheureusement tout ce que l’histoire a retenu d’elle. Afin de pallier notre méconnaissance et de réhabiliter ce génie injustement oublié, le musée Camille Claudel en dresse ainsi une biographie artistique sans omission. De sa vocation autodidacte détectée par son mentor et ami de la famille Claudel, Alfred Boucher, à sa rencontre avec Rodin, de leur idylle, leur influence mutuelle – un aller-retour visuel entre ‘Frère et sœur’ et ‘Fille à la gerbe’ suffira à vous convaincre que l’inspirateur n’est pas celui que l’on croit –, à leur séparation suivie d'un virage stylistique post-rupture, rien n’est passé sous silence.
Sa vie n'étant que le reflet de son œuvre, on se laisse alors emporter dans la ronde des quatre ‘Valses’ en grès, bronze ou plâtre patiné. On reste subjugué par la mouvance de la barbe du portrait de Rodin, pilosité vivante qui semble s’agiter comme un être tentaculaire, méandres tranchant avec ce front lisse et stoïque. Certes, on ne peut pas encore admirer ‘La Vague’ mais on découvre ses « croquis d’après-nature », on est saisi par l’intensité du regard de sa ‘Petite châtelaine’ et l’émotion intime qui se dégage de ‘L’Age Mûr’, vanité sculptée dans la meurtrissure d’un cœur hypersensible. Avant que l’on ne s’étonne des courbes polies, presque atones, de ‘Persée et la Gorgone’.
Toutefois, si le parcours de Camille Claudel est longuement abordé, investissant des salles entières ou s’incrustant dans les rétrospectives de ses confrères, il n’est pas décontextualisé. Au contraire, il vient mettre en valeur le genre très en vogue de la sculpture au XIXe siècle. Au fil des espaces, se rappellent à nous la difficulté de cet art, comme le manque de matières premières ou les prix et commandes d’Etat à décrocher impérativement pour, à l’époque, gagner en renommée.
Se dévoilent aussi les coulisses de la création, de photos en dessins d’études, de moules en cire aux techniques plus innovantes de reproduction, les grosses pièces devenant modèles réduits afin de conquérir les intérieurs mondains. De même que s’évoquent les thèmes les plus récurrents dans le domaine sculptural, au sortir de la guerre de 1870 : la femme, la mythologie, le travail, les figures historiques emblématiques… Sans éluder ce gigantesque patio, puits de clarté où se jaugent les chefs-d’œuvre monumentaux de nombreux artistes, tels le ‘Shâkountalâ’ de Camille Claudel, la ‘Jeanne d’Arc’ de Paul Dubois ou ‘L’Age de Pierre’ de Gabriel Jules Thomas.
Noyau dur des collections de ce nouveau musée, les œuvres de Camille Claudel apportent un éclairage sur sa vie personnelle, mais également sur son siècle, et au-delà ! Elles sont à la fois l’origine d’une ouverture au monde, encore obscure, de la sculpture, autant que sa finalité. La raison principale de venir à Nogent puis le prétexte d’y retourner souvent.
Quoi ? • Le musée Camille Claudel.
Où ? • 10 rue Gustave Flaubert, 10400 Nogent-sur-Seine (un train toutes les heures depuis la gare de l'Est).
Quand ? • Du 1er avril au 31 octobre, du mardi au vendredi de 11h à 18h et les samedis et dimanches de 11h à 19h. Du 1er novembre au 31 mars, du mercredi au samedi de 11h à 18h et les dimanches de 11h à 19h.
Combien ? • 7 € l'entrée plein tarif, 4 € tarif réduit, 3 € la visite guidée.
Pour en savoir plus sur les événements programmés par le musée, rendez-vous sur son site officiel ou sa page Facebook.