[title]
Face au tapis rouge de Cannes, le passant est vite intrigué par une rangée interminable d'escabeaux situés derrière les barrières de sécurité. « Bienvenue au pavillon des fous ! » nous lance Céline, une dame assise à l'ombre d'un parasol. Ces fous, contrairement aux apparences, ne veulent pas repeindre un plafond invisible : ils attendent l'arrivée des vedettes et la montée des marches de 19h. Certains sont là depuis très tôt dans la matinée. Chacun son escabeau pour voir par-dessus la foule et prendre les meilleures photos, ou juste se faire remarquer. « Moi, je prends des photos, se présente Céline. Vingt-et-un ans que je fais ça, je peux vous dire que j'en ai des milliers, je les garde pour moi, même si je sais que beaucoup les vendent. Sinon, il y a aussi les chasseurs d'autographes, vous voulez parler avec l'un d'entre eux ? Ha, il est parti déjeuner, dommage, du coup on surveille sa place pendant ce temps. On se serre les coudes. On sait bien qu'on est fous, hein, mais on en rigole ! »
Une journée entière passée à attendre sous un cagnard d'enfer pour deux minutes furtives de frénésie, une photo floue, un vague regard posé sur vous, une main molle serrée dans le meilleur des cas, mieux vaut en effet pratiquer l'autodérision dans ces conditions. Du festival, Céline connaît surtout ce tapis, ces stars, ces flashes qui crépitent, le reste, elle n'en sait pas grand-chose. Elle a vu l'évolution du barnum depuis les années 1990 : « Les choses ont évolué, mais en moins bien. La sécurité s'est beaucoup renforcée, c'est plus dur d'approcher les célébrités. Il faut dire qu'on voit de ces choses parfois, il y a des dingues. L'année dernière, America Ferrera, l'actrice de 'Ugly Betty', s'est faite agressée par un type qui s'est jeté sous sa robe ! » Au pavillon des fous, on a sa dignité, et puis on respecte le client. C'est même avec une certaine hauteur aristocratique que durant la journée nos fans tournent le dos à ce tapis qui bientôt sera l'objet de leur attention toute entière. Nous souhaitons bon courage à Céline, avant d'aller nous-même faire la queue sous le soleil durant une heure pour voir quelques images bouger sur un écran. A Cannes, la folie est la chose la mieux partagée du monde.
© Emmanuel Chirache