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Ce soir, les César 2016 investissent le théâtre du Châtelet. Alors, si vous avez la capacité de rester éveillé plusieurs heures sans cligner des yeux entre deux discours indigestes ou que vous avez fait votre stock de café-Red Bull, vous assisterez en direct au sacre des meilleurs du cinéma français. Enfin, si les jurés suivent notre avis. Pour les aider, voici donc notre sélection des acteurs, actrices et réalisateurs qui constituent les fleurons du septième art tricolore.
Meilleure actrice : Loubna Abidar
Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Catherine Frot… la concurrence est rude pour Loubna Abidar. Mais nous on y croit fort à cette révélation marocaine de 31 ans, bourrée de talent ! Découverte dans ‘Much Loved’ de Nabil Ayouch, la jeune femme y incarne une prostituée dans un pays où les amours tarifées sont aussi mal vues que répandues. Un rôle nécessaire, rare et courageux qui lui a d’ailleurs valu d’être agressée et accusée d’« incitation à la débauche ». Pourtant, n’en déplaise à ceux qui, au Maroc, l’ont fait interdire sans même l’avoir vu, il n’y a pas que du sexe dans ‘Much Loved’. Il y a aussi et surtout des rires, des moments de réelle tendresse et de vraies réflexions sur le paradoxe de ces femmes « aimées » plusieurs fois par jour, mais mal.
Bien plus pudique qu’il n’y paraît, ce film a, outre le fait d’éveiller les consciences, misé sur des actrices peu connues qui méritaient cependant de l’être mille fois plus. A commencer par Loubna Abidar donc. Alors, messieurs des César, soyez enfin objectifs et laissez notre favorite créer la surprise. S’il vous plaît.
Meilleur acteur : Vincent Lindon
Sur le plateau du Grand Journal à Cannes, Vincent Lindon défendait ‘La Loi du marché’ en ces termes : « L’art, c’est politique, la vie, c’est politique. Je suis heureux de voir un tel film présenté à Cannes. » Un discours détonant en plein raout médiatique et clinquant du festival le plus célèbre du monde. Troublant Lindon qui donne toute son âme, sa moustache et sa fatigue à ce rôle, figure banale et contemporaine du déclassement social. Avec la 'Loi du marché', l’acteur prête son visage à la révolte impuissante du chômeur exploité par le rapace qui lui rachète son camping-car, infantilisé par sa banquière, manipulé par les recruteurs dans les entretiens d’embauche sur Skype. Mais il fait aussi joliment le don de son silence dans les parties au supermarché, où il devient sans le vouloir le corps défendant du capitalisme, le témoin muet du jeu pervers que le super marché (en deux mots) impose aux plus faibles. En se taisant, il laisse alors le spectateur crier à sa place, une belle manière détournée de se faire le porte-parole des opprimés.
Meilleur Scénario Original : Trois souvenirs de ma jeunesse
Préquelle du film ‘Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle)’, sorti vingt ans auparavant, ‘Trois souvenirs de ma jeunesse’ a le ton alambiqué de son réalisateur Arnaud Desplechin et la fraîcheur de ses jeunes acteurs. Un mélange érudico-vivifiant qui en a fait le chouchou de ces César 2016, nommé dans onze catégories : une première !
Dans ce long métrage, on retrouve l’anthropologue Paul Dédalus, interrogé par les RG au sujet d’un homonyme qui aurait séjourné en URSS dans les années 1980. Une question qui fait ressurgir les souvenirs d’enfance et d’adolescence de ce normalien atypique, aussi paumé dans sa vie sentimentale que dans ses papiers d’identité. Mais surtout l’occasion pour lui de revivre – en pensée et en flashbacks –, son tout premier amour avec Esther, une lycéenne roubaisienne volage et passionnée.
Entre poésie, intelligence et délicatesse, les jeunes acteurs Quentin Dolmaire et Lou Roy-Lecollinet s’approprient à merveille leur rôle d’adultes. Grâce à leur prestation pleine et entière, terriblement sincère, on se laisse emporter par cette relation à la fois candide et équivoque où s’entremêlent attachement profond et tromperies assumées.
Bref, ces deux espoirs ne ravivent, certes, pas celui qu’on pourrait avoir dans le couple. Mais ils nous rassurent quant à l’avenir du septième art français, et ça, c’est déjà pas mal !
Meilleur Film Étranger : Taxi Téhéran
Ce film n’aurait jamais dû exister. Son réalisateur, Jafar Panahi, est condamné depuis 2010 à ne plus tourner en Iran, son pays natal. Six ans, c’est la peine qu’il encourt. Et pourtant, le cinéaste brave une nouvelle fois les autorités avec cette œuvre courageuse, aussi drôle qu’audacieuse, dépeignant intelligemment toute une société.
Comme Abbas Kiarostami avant lui et son formidable ‘Ten’, Panahi dramatise un récit avec un dispositif archi minimal, transformant avec trois caméras une voiture en studio de cinéma. Mué en chauffeur de taxi dans les rues de Téhéran, il voit les clients défiler dans son taxi, de l’exécrable vendeur de DVD interdits, à sa nièce voulant absolument tourner un film « diffusable ». Jouant habilement entre la fiction et le documentaire, ce film dépasse le simple cadre du manifeste en proposant un rendu bien plus malin. Résultat ? Une œuvre communicative et émouvante traitant autant du cinéma que de la censure. Surtout, la dynamique instaurée par Panahi pour un cinéma libre et les risques qu'il encourt en réalisant ce film en font une œuvre politique puissante. C’est pour tout ça qu’il mérite, sans hésitation, ce prix aux César ce soir.
Meilleur film : Mustang
Telles des princesses dans un immense château, prisonnières d’un terrible ravisseur, cinq jeunes sœurs sont cruellement séquestrées dans une maison sur les bords de la mer Noire. Leur crime ? Avoir grimpé sur les épaules de garçons, un geste ô combien sensuel dans leur village reculé de Turquie. « Il paraît que vous vous branlez sur la nuque des garçons » osera même dire leur grand-mère. La solution ? Les marier les unes après les autres, sans qu’elles aient leur mot à dire. Qu’elle semble loin la modernité d’Istanbul, pour ces orphelines élevées par cette dame archi conservatrice et leur oncle tyrannique. Mais sublimes voire divines, les rebelles vont tenter de se délivrer, telles des mustangs.
Avec ce premier long métrage, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, Deniz Gamze Ergüven signe une œuvre d’une fraîcheur ravissante, par son ton et ses interprètes. Rappelant forcément ‘Virgin Suicides’ de Sofia Coppola, 'Mustang' s’éloigne de l’esthétique vintage pour dépasser le genre « film de jeunes filles. » Le rendu est ultra contemporain, oscillant entre réalisme et conte. Et à mesure que le film avance, on est scandalisé, révolté, triste pour ces gamines, priant pour voir certaines s’en sortir. Il s’en dégage une énergie débordante, un tourbillon émotionnel. Et à la fin, on se dit que ça ne fait aucun doute : 'Mustang' mérite de repartir avec le César du meilleur film.