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Actuellement en salles, le nouveau film du réalisateur belge suit l’embrigadement d’une jeune femme par un parti populiste dans le nord de la France. Ambitieux mais inégal.
Une cartographie locale de l’extrême droite
Ici, toute ressemblance avec la réalité est loin d’être fortuite… Dans une commune imaginaire du Pas-de-Calais qui pourrait bien être Hénin-Beaumont (qui se voit rebaptisée « Hénard » pour l’occasion), une jeune infirmière libérale, Pauline Duez (Emilie Dequenne), mère divorcée qui galère, se voit approchée par un riche médecin, Philippe Berthier (André Dussollier), qui la pousse à accepter de devenir tête de liste pour le parti d’extrême droite dont il est cadre : le Bloc Patriotique.
Jusqu’ici peu versée dans la politique malgré un père militant communiste, Pauline se laisse peu à peu conquérir par le discours du « Bloc » et de sa dirigeante, Agnès Dorgelle (Catherine Jacob), sorte de clone de Marine Le Pen. En parallèle, bien qu’elle retrouve l’amoureux de ses 16 ans, Stéphane (Guillaume Gouix), dont elle s’éprend à nouveau, Pauline en ignore le passé de militant identitaire et de nazillon amateur de ratonnades de migrants – qu’elle ne tardera tout de même pas à découvrir…
Quand l’extrême droite se pare d’un discours « socialisant »
Pour la faire courte, disons que ‘Chez nous’ ne cherche pas tant à dénoncer le discours du FN stricto sensu qu’à dresser un état des lieux plus général de ce « Bloc » qui fait feu de tout bois : radeau de la méduse où des énarques aux dents longues – un double de Florian Philippot figure d’ailleurs lui aussi parmi les seconds rôles – côtoient les skins les plus bas du front (« national », donc). Partant, le film de Lucas Belvaux s’attaque avant tout à la logique interne d’un parti qui joue tour à tour sur son nationalisme historique – nostalgie du colonialisme, tatouages de svastikas et glorification d’une « patrie » tout droit sortie d’une image d’Epinal… – et sur la sensibilité sociale de ses « idiots utiles » que représente, à sa manière, le personnage de Pauline, benoîtement charmée par les envolées faussement gauchisantes de la dirigeante d’extrême droite.
Cette autopsie de la stratégie du FN 2.0, amer cocktail de nationalisme et de socialisme (tiens, un mélange idéologique qui rappelle un truc) : voilà l’un des points forts du long métrage de Lucas Belvaux. En revanche, le film trouve tout de même bientôt ses limites. D’une part, parce qu’il manque parfois de subtilité dans les situations et les rapports de forces qu’il représente – ou alors, c’est que son héroïne est quand même vraiment un peu gourde. Mais ceci, au fond, est un détail. En fait, le principal écueil du film est tout simplement… son réalisme. Et cela mérite quelques explications.
Oui, ‘Chez nous’ ressemble à la réalité. Une réalité qui donne passablement envie de se pendre, où l’on retrouve, quoique sous d’autres noms, le Front National, Marine Le Pen, Florian Philippot et tous leurs petits copains fafs – dont Belvaux tient à nous rappeler l’idéologie extrémiste sous des dehors désormais policés, « dédiabolisés ». Ok, ok. C’est effectivement juste. Le problème (qui est sans doute aussi, et plus généralement, celui du cinéma réaliste à l’époque contemporaine), c’est que le quotidien lui-même paraît aller plus loin. Bien plus loin. Ou, pour le dire autrement, que la fiction reste probablement très en-deçà de la réalité. Surtout quand on considère combien celle-ci atomise chaque jour, à la une des médias, toutes les limites de la crédibilité.
Quand le réel dépasse la fiction : le quotidien en 2017
Des tweets pour le moins ubuesques de Donald Trump à l’affaire Adama Traoré et aux manifs homophobes, de la propagande tous azimuts aux révélations d’emplois fictifs au plus haut niveau, en passant par l’évasion fiscale des plus fortunés, des médias acéphales, quelques bonnes doses de complotisme ou de viols à coups de matraque par des services de police qui ressemblent davantage à des milices qu’à des « agents de la paix » : la simple actualité, là, sous nos yeux, semblent devenue folle, incontrôlable.
« L’avenir, c’est l’impossible » résumait Jacques Derrida, dans une ultime apparition télévisée, peu de temps avant sa mort. Or, à l’heure actuelle, qui semble celle de l’instantanéité, de l’immédiateté, où le futur paraît aboli au profit d’un présent à perpétuité, l’anomie est telle que l’actuel ne cesse lui-même de dépasser les bornes. Et on ne peut alors s’empêcher de songer, une fois sorti de la salle, que ce que nous montre ici Lucas Belvaux n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg. Et que les jeux politiques d’intimidation ou de corruption vont, en fait, certainement beaucoup plus loin que ce que sa fresque sociale se permet de montrer.
Une fiction réaliste se doit d’être crédible. Le réel, terriblement fuyant et polymorphe, lui, n’a évidemment que faire de la crédibilité. Aussi le film de Belvaux apparaît-il comme un témoignage. Une reconstitution. Qui risque, hélas, de se retrouver bientôt (déjà ?) dépassée par une situation politique encore plus tendue et explosive que celle décrite par ‘Chez nous’, sachant combien les discours de droite extrême ont aujourd’hui pignon sur rue, bien au-delà du FN. C’est sûr, cela n’a rien de réjouissant… Mais difficile de ne pas voir à quel point le pire nous pend au nez.