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Bien sûr, il y aura les grincheux habituels, qui n'aiment rien moins que les artistes qui vendent des albums et font les couvertures des magazines. Ignorons-les, le nouveau disque de PNL est déjà un classique, un événement, une ode à l'auto-tune, cette technique qui pour beaucoup sépare le mauvais du bon goût.
En réalité, l'auto-tune n'est qu'un outil parmi d'autres, vocoder, réverb, phazer, qui eux-même accompagnent les effets vocaux d'Ademo et N.O.S, allitérations, scansions, licences poétiques, répétitions. C'est un fantasme d'enfant, une baguette magique qui répare les jouets cassés et transforme la parole en musique. Il y a clairement une dimension régressive dans la musique de PNL, on s'y sent comme dans un liquide amniotique, séparé de la vraie vie par une paroi maternelle, difficile à percer mais protectrice une fois qu'on y est. Ici, l'auditeur est captif de références pop adolescentes (mangas, jeux vidéos, foot des années 1990) à l'intérieur d'un noyau calme et auto-tuné, le noyau nucléaire de la famille, que la famille.
Un mantra répété si souvent dans les chansons qu'il agit comme un dieu créateur, ou un slogan de pub, encore plus efficace quand il s'écoute au casque, technologie qui renforce l'isolement fœtal : A force de l'entendre, vous y croyez. Vous faites partie de la famille de PNL. A l'origine utilisées pour retomber sur ses pieds (de vers), les répétitions de syllabes se calquent sur celles des comptines pour enfants, le « je suis dingue-dingue dans ma tête » répondant aux « les gens de la ville-ville-ville » de la "Pêche aux moules". Avec 'Dans la légende', le groupe vous chante une berceuse, car vous ne le savez pas encore, mais vous êtes leur petit frère.
« La vie est moche, donc on l'a maquillée avec des mensonges »
D'ailleurs, le groupe n'est rien d'autre que le délire de deux frères fusionnels, cultivant leur quasi gémellité par la ressemblance physique mise en avant sur les pochettes autant que par un texte où tout est répété deux fois. Une cuillère pour Tarik, une cuillère pour Nabil. Pour la première fois depuis leurs débuts, ils dialoguent ici directement dans une magnifique chanson façon flamenco, "Luz de la luna", mais leur relation est implicitement évoquée dans quasiment toute leur œuvre, à travers le thème du père ou du « petit hermanito », petit frère sur la tête duquel l'ainé « pose la couronne ». Bien plus que le discours d'une jeunesse désabusée sur la crise, propos finalement assez convenu et qu'on retrouve déjà chez des artistes des années 1970, c'est la fraternité qui fascine chez PNL. Deux frères, le taulard et le commercial, la crédibilité de la rue et la rouerie de l'étudiant, qui s'opposent autant qu'ils se complètent, différents mais pareils, chacun protégeant l'autre de ses démons. Deux frères contre le reste du monde, qui hésitent à sauver la terre ou la brûler, finalement contraints à se l'approprier à travers la musique. « Prends le monde » leur conseille la rue. Ils suivront l'avis des leurs et voyageront partout, avec un programme clair, « plus Afrique que Pattaya ».
Au fond, l'immense force de PNL réside dans cette façon de créer du lien avec son public à travers les mots, au-delà même du sens qu'on pourrait leur donner. Entre l'argot des cités (« taga », « cliquos »), le verlan, l'espagnol LV2 (« chica chica »), l'arabe (« khey, khey, khey ») et les onomatopées (« ounga ounga », « ratatata », « rompompompom »), les paroles de PNL sont souvent hermétiques au premier abord. Beaucoup d'observateurs ont vite remarqué comment PNL s'était forgé un idiome, décrypté à longueur de chansons sur le site Genius, par exemple, mais aussi par un prof de français dans les Inrocks. Les paroles du groupe fonctionnent comme les personnages récurrents d'une petite comédie humaine, quittant la scène pour mieux y revenir ensuite. A force de les entendre, l'auditeur finit par les connaître par cœur, il s'intègre dans un nouveau monde, se réjouit de voir décliner le « iencli Vé-Her », le client Hervé qui achète la drogue à Ademo, la « misère en balade » ou « le monde Chico », autant de références à l'album précédent parsemées un peu partout sur 'Dans la légende'. Seule différence, désormais le groupe « oublie le visage de ses cliquos » et doit gérer un succès fulgurant : « On dessert la ceinture, la banquière prend mon tour de taille », allusion aux anciens temps des vaches maigres décrits dans 'Le monde Chico'.
Les albums de PNL contiennent moins des chansons distinctes que les différents organes vitaux d'un système global, grâce auquel Ademo et N.O.S refaçonnent la réalité en la rendant paradoxalement plus sincère. « Igo, la vie est moche, donc on l'a maquillée avec des mensonges » ("Jusqu'au dernier gramme"). Si la réalité est un mensonge, alors l'art est la réalité. En affirmant qu'ils sont vrais dans la musique et faux dans la vie, PNL va au-delà d'une simple description du vide en banlieue et de la solitude d'une génération entière, qui se plaît à reconnaître les allusions à Zelda (« J'fais le tour de la plaine avec Epona ») et au manga GTO ("Onizuka"). Il a fallu du temps pour que les deux frères parviennent à trouver cette formule entre cloud rap et concept artistique personnel. Depuis qu'il a réussi son coup, il ne cesse d'expier ses péchés, comme si sa musique était le signe du châtiment que leurs anciens crimes méritent, sans rémission possible : « Mon dieu faut que je me dirige vers la Mecque, mais bon j'suis de la pire espèce. » Douce fatalité dans les nappes sonores cotonneuses du disque, fatalité aussi dans la verve de N.O.S et Ademo, où chaque mot paraît aussi hasardeux que nécessaire, car on n'échappe ni à PNL, ni à son destin. « Les cafards m'ont dit "toujours là", pourquoi ? Parce que ! »