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MEZCAL. Le mot déjà est entouré d’un halo mystérieux, poétique, un peu sulfureux aussi. Pour David Migueres, jeune Franco-Mexicain, il évoquait surtout, adolescent, l’alcool consommé par les paysans mexicains. « Quand j’avais 15 ans et que je passais mes vacances au Mexique, personne ne buvait de mezcal, c’était considéré comme l’alcool des pauvres. » Quelques années plus tard, cet alcool issu des plantes d’agaves, cousin de la tequila, très fort et très complexe (entre 35 et 75°), deviendra sa passion.
En 2013, alors qu’il vient de finir ses études de commerce et un stage chez Airbus avec CDI à la clef, David décide de prendre du recul et de partir à Mexico. « Je savais depuis toujours que j’avais envie d’entreprendre mais je ne savais pas dans quoi. » Là-bas, il passe du temps avec son oncle Fernando : « Gros buveur, gros mangeur : le vrai Mexicain quoi. » Ensemble, ils visitent Oaxaca, région réputée pour cet alcool, ils traînent dans des bars à mezcal et visitent une plantation pour la première fois. « Je suis tombé amoureux direct, tu as l’impression d’être propulsé cinq cents ans en arrière, il n’y a aucune machine, tout est artisanal. C’est le vrai folklore mexicain, pas une attraction pour touriste. Je n’ai jamais ressenti un truc pareil de ma vie. »
Agave espadin et le maestro Mezcalero
« A Paris, je recherchais le goût du mezcal comme une madeleine de Proust. »
De retour à Paris, il cherche du mezcal dans les bars à cocktails qui commencent alors à éclore : « Moi qui ne suis pas un grand fan d’alcool, je suis tombé amoureux du mezcal. Je recherchais son goût comme une madeleine de Proust. » L’idée de son entreprise naît alors : il va importer du mezcal du Mexique, celui des producteurs artisanaux. Il refuse un job chez Airbus, fait ses valises et décide d’apprendre à en produire sur place. Il débarque à Oaxaca, chez Benito Cortes, le paysan rencontré lors de son premier voyage qui produit le Mezcal Sangremal. Il lui propose de travailler gratuitement, dort chez eux, et en échange apprend ce savoir-faire millénaire sur leur « palenque » (plantation où est cultivé le mezcal).
La confection de ce spiritueux existe depuis plusieurs milliers d’années. Il est fabriqué à partir de jus d’agave cuit puis fermenté et distillé. Cette plante ressemble - grossièrement - a un ananas géant. Il y en a plus de deux cents types dont types sont utilisés pour la production. Il existe aussi des agaves sauvages que seuls les « maestros mezcalero », parfois héritiers d’un savoir de huit générations, savent trouver. Une agave met six à neuf ans à pousser, les sauvages, dix à trente ans. Une fois qu'elles sont déracinés, on leur coupe les feuilles pour ne garder que le cœur appelé « pina » (comme les ananas) que l'on débite en morceaux puis que l'on cuit au bois dans un four recouvert de pierre volcanique. Enfin, le tout est recouvert de matière organique, ce qui donne à l'alcool un goût fumé bien singulier.
Les différentes variétés d’agaves sont comme les différents cépages pour le vin, les régions où elles poussent comparables aux différents terroirs. Eric Asimov, le responsable de la rubrique vin du New York Times, décrit cet alcool comme l’un des spiritueux les plus intéressants, complexes et intrigants au monde. Dans la famille Cortes, David assiste à toutes les étapes de fabrication : « Je me réveillais à 6h pour cueillir les plantes puis, après les avoir coupées, on les transportait à plusieurs dans le four : c’est un travail hyper physique. J’ai bu du mezcal douze heures sur vingt-quatre, avec l’altitude, les vapeurs, le mezcal que l’on nous propose à la gourde dès le matin, j’étais dans un état très étrange, mon cerveau était quasiment en lévitation. »
« Para todo mal mezcal para todo bien tambien. »
Il faut dire qu’au Mexique, pays très religieux, boire du mezcal s'apparente presque à une expérience mystique. Une légende raconte d’ailleurs que cet alcool naquit lorsque Dieu foudroya une agave d'où coula cette liqueur sacrée. Les Mexicains dégustent cette boisson dans des petits verres avec une croix au fond, les mêmes verres où brûlent les cierges dans les églises, et il existe toutes sortes de prières, liées à la production du mezcal. A Oaxaca, capitale colorée de la région, nombreux sont les bars clandestins à mezcal tenus par des Mexicains mais aussi des Québécois ou des Américains pour qui cet alcool est devenu un mode de vie.
Parmi les nombreuses expressions populaires, « para todo mal mezcal, para todo bien tambien » signifie : « Pour toutes les peines du mezcal, pour toutes les joies aussi. » Ou encore : « El mezcal no te emboracha te pone magico » (« le mezcal ne te saoule pas, il te rend magique »). Après son séjour à Oaxaca, David part seul pour la région de Zacatecas, plus au nord, où grâce au bouche à oreille, il débarque dans la famille Elias. Là, il passe encore plusieurs mois avec eux à travailler dans leur micro-production pour parfaire sa connaissance du produit. Au Mexique, huit Etats sont autorisés à produire le mezcal, c’est une appellation d’origine. Il existe aussi depuis vingt ans un conseil régulateur du mezcal, le Comercam, qui garantit une vraie qualité sur l’export, avec un contrôle du degré d’alcool, du type d’agave, de la distillation, etc., nécessaire pour l’exportation.
« Parfois, avant de m’endormir, je m’imagine au Mexique avec ma plantation d’agaves. »
De retour à Paris, le mezcalero en herbe monte sa société, il commence à exporter ses produits huit mois plus tard. La tâche n’est pas facile, parmi les producteurs artisanaux avec lesquels il travaille peu ou aucun ne sont habitués à exporter leurs produits et sont donc très peu familiers avec les démarches administratives. « C’est hyper compliqué pour eux, mais une fois, je me promenais avec la bouteille de la famille Elias dans mon sac, et j’ai fait un détour pour la prendre en photo devant la tour Eiffel, je pense qu’ils ont pleuré quand ils l'ont reçue. »
C'est avec ses bouteilles de mezcal dans son sac à dos et ses photos de voyages que David a fait la tournée des bars parisiens, une fois rentré à paris. Il y a rencontré des barmen curieux et passionnés, comme ceux de chez Beaucoup ou du Moonshiner qui travaillent aujourd’hui avec ses produits. Il a aussi suggéré à un ami qui reprenait la gestion de l’hôtel 1K vers République d’y créer une mezcaleria, bar clandestin où l’on ne boit que du mezcal. Le jeune homme aimerait cette année monter son entreprise au Mexique pour pouvoir justement aider les producteurs avec lesquels il travaille à exporter leurs produits. Quand il trouve le temps de se coucher, il s’imagine, « parfois, avant de [s]’endormir, au Mexique avec [s]a plantation d’agaves. »