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C’est vrai que « le temps n’était pas folichon, folichon » (comme dirait Laurent Cabrol) jeudi 2 juin au soir. Mais tant pis, les Jeudis Arty – ces nocturnes de l’art contemporain qui se tiennent dans le quartier du Marais trois à quatre fois par an – fêtaient leurs deux ans d’existence et ça valait le coup de braver la pluie. D’autant que la programmation de cette 7e édition anniversaire était plus qu’alléchante ! C’est donc la bave aux lèvres et notre petit plan des galeries participantes à la main que nous sommes sortis de la station de métro Filles du Calvaire, aux alentours de 19h. Direction la Galerie JPHT où Patricia Molinaro (dit PatMoli) expose ses 'Femmes secrètes'. Ancienne dessinatrice de bande dessinée, l’artiste s’est créé un univers poétique, chamarré et pétillant où l’influence du cartoon se ressent fortement.
Joviale et enthousiaste, elle nous présente en personne ses tableaux où se mêlent différents matériaux : peinture, résine, collages de journaux papier, paillettes… Le tout formant un ensemble riche de détails et haut en couleur, dans tous les sens du terme ! On admire ses détournements de chefs-d’œuvre ultra-connus tels la ‘Marilyn Monroe’ de Warhol, ‘Le Baiser’ de Rodin, le fameux cliché des Beatles traversant le passage piéton d’Abbey Road ou encore ‘La Joconde’ qui, par sa mine boudeuse, est renommée ‘Bourderie’. De même qu’on reste fascinés devant les interminables jambes fuselées terminées par des escarpins roses, signature de PatMoli, célébrant la féminité. Grande amatrice des toiles de Tamara de Lempika, l’une des premières peintres à s’être imposée dans le monde très phallocrate de l’art, PatMoli assure cependant ne pas être une féministe acharnée. « Ce que je défends surtout c’est la liberté des femmes à faire tout ce qui leur plaît », précise-t-elle. Pas Femen mais un peu Simone Veil, quoi…
La liberté, un thème récurrent dans l’œuvre de l’artiste, en témoignent ses tableaux de mondes marins. Car PatMoli ne peint pas que des femmes, elle esquisse également des poissons « zinzins » et des mollusques éthérés, flottant dans des fonds aquatiques où les médiums peinture et sculpture nagent de concert. Et où les escarpins roses ont cédé la place, avec humour, à des palmes de même teinte.
Un coup d’œil (discret) à la montre. Oups ! A force de discuter à bâtons rompus avec PatMoli, un verre de vin à la main, on n’a pas vu le temps filer. Or, d’autres galeries attendent de nous en jeter plein les mirettes. C’est donc séduit par le style un peu chagallien, un peu klimtien de l’artiste qu’on quitte la Galerie JPHT pour une nouvelle escale culturelle.
Notre périple artistique se poursuit dans la rue du Perche, à peine 100 mètres plus loin. En fait, nous n’avons eu qu’à tourner au coin pour atteindre notre destination : la Galerie Lazarew. Là-bas, on voit 'Rouge'. Non, non, nous ne sommes énervés, c’est juste le titre de la monographie consacrée au peintre ukrainien Sergey Kononov. Agé de 21 ans seulement, le jeune prodige fait déjà preuve d’une grande maturité esthétique, maîtrisant ses coulures et jouant du contraste entre les nuances douces et la violence de ses sujets. Pourtant, à le voir tout timide et presque caché derrière la colonne du « white cube », on pourrait facilement le prendre pour un badaud lambda.
Après les œuvres espiègles et ardentes de PatMoli, 'Rouge' est un déroutant choc visuel. Les flous artistiques, donnant l’impression que les toiles sont restées un peu trop longtemps sous la pluie, font naître de nouvelles formes desquelles chaque spectateur livre une interprétation diverse. Jamais vraiment joyeuse mais pas dénuée d’espoir de révolte et d’humanité juvénile pour autant.
Bientôt 20h30. Il est l’heure de se rendre au Carreau du Temple – dont il est toujours aussi malaisé de trouver l’entrée – où l’on a rendez-vous pour suivre l’une des quatre visites guidées proposées. Nous, on a choisi le circuit « Moi aussi je peux le faire », interrogeant ce qui fait d’un objet basique une œuvre d’art. A l’accueil, on nous accole donc une petite pastille verte (ou d’une autre couleur suivant la visite voulue) et on attend devant la borne de même teinte, à l’extérieur du Carreau, que le ou la guide vienne nous chercher. Pour patienter on s’en grille une, on joue à 2048 et on consule Facebook en louant le ciel qu’il ne pleuve pas.
Puis Marie arrive, ponctuelle et souriante. Guide-conférencière de métier formée à l’Ecole du Louvre, la jeune femme fait, comme nous, son baptême des Jeudis Arty. Mais elle n’est pas spécialement stressée – elle a déjà mené une première visite à 18h45 – et nous invite à marcher dans son sillon pour 1h30 de balade artistique. Qui se fera en petit comité (nous sommes une dizaine à peine).
La visite débute rue Notre-Dame de Nazareth à la Galerie Vincenz Sala. Après une présentation rapide du lieu et un tour des œuvres de l’exposition collective ‘Notation’, notre groupe est rejoint par Jacob Reymond. L’artiste entame alors une performance alliant musique et peinture : au son d’un air presque discordant, il laisse traîner son pinceau sur un tissu de satin blanc tendu par une femme servant de chevalet. Une fois la chanson achevée, le silence revenu, et quelques éclaboussures reçues (eh oui, la création ça tache !) la femme enfile l’œuvre et se met à danser frénétiquement avec. Ou plutôt à fouetter l’air comme pour faire sécher la toile. Effectivement, on se dit alors « moi aussi je peux le faire ». Et Marie ne nous contredit pas : c’est vrai, tout le monde peut le faire car aujourd’hui l’accès aux matériaux (peinture et autres) est facilité. Quand les artistes n’usent pas directement d’objets manufacturés du quotidien. Ce qui fait qu’une réalisation peut être considérée comme une œuvre ce n’est donc plus sa forme mais son fond, le ressenti qu’elle engendre et le message qu’elle porte. En somme, nous sommes tous des Picasso en puissance, l’exposition des néons de Pascal Mennesson – économiste de métier – à la Lebenson Gallery, où nous conduit ensuite Marie, nous le prouve.
Vers 22h, alors que la nuit tombe sur le Marais, nous voici de retour au Carreau du Temple où l’Arty Party bat déjà son plein. Chouette, on va pouvoir souffler les deux bougies de l’événement ! Enfin, sauf qu’il n’y a pas de gâteau d’anniversaire… On est déçu. Mais heureusement on se console vite avec une bonne bière qui ne nous aura coûté que 4 euros : un joli cadeau pour les noctambules désargentés. Cette binouze bien fraîche, on la savoure entre deux performances, de la danse captivante d’Hélène Mourrier aux intrigants portraits dessinés dans l’air par Alma Jélavy, en passant par un test de réalité virtuelle assez effrayant. Tout cela est bien sympathique mais on doit avouer que, pour une fête d’anniversaire, on imaginait une ambiance un peu plus... festive. Il faut dire que le public, à l’inverse des escargots, s’est montré plus frileux face à la perspective de sortir sous un ciel nuageux correspondant plus à celui d’un mois de novembre que d’un mois de juin.
Alors certes, on a croisé peu de curieux en bras de chemise, les t-shirts des précédentes éditions ayant cédé la place aux trenchs et autres imperméables. Mais on ne regrette certainement pas d’avoir écourté notre nuit pour les Jeudis Arty. Pour preuve, on va relever l’un des trois défis proposés pour leur déclarer notre flamme. Pas le « Selfie Arty » parce que, à l’image de Pierre Lescure, on trouve cela grotesque (non, en vérité c’est juste que même avec toute la bonne volonté du monde on n'arrive pas à être photogénique, tout l’inverse de Barney Stinson). Ni le défi « Abstraction » qui consiste à dessiner le nom d’une galerie choisie car même un enfant de trois ans avec les deux mains dans le dos s’en sortirait mieux que nous. Du coup on opte pour celui de la « Page blanche »…
« Les Jeudis Arty c'est un peu comme se retrouver devant une vitrine de pâtisseries toutes plus appétissantes les unes que les autres. Il y a tellement d'oeuvres qu'on aimerait admirer, tant de galeries qu'on souhaiterait découvrir et si peu de temps. Une nuit ça passe vite, finalement. Il faut donc faire un choix, à moins de courir les galeries à perdre haleine et de n'y rester que deux minutes, façon trois petits fours et puis s'en vont... Par conséquent, les Jeudis Arty c'est toute une organisation. A laquelle il faut toutefois ménager une marge d'imprévus. Se laisser porter au hasard des rues, c'est bien plus charmant que de suivre un itinéraire tout tracé. Et puisque la quête de la sérendipité nécessite de marcher, pensez bien à sortir les baskets ou les chaussures plates. Auquel cas vous risqueriez de transformer ces Jeudis Arty en jeudis martyrs pour vos pieds. »