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Samedi 15 avril, l’artiste-performeuse luxembourgeoise s’est introduite au musée du Louvre, déguisée en Joconde, pour proposer une nouvelle vision du tableau le plus célèbre au monde.
La Joconde se fait chier. Pire, ça ne dérange plus personne que la Joconde se fasse chier. Depuis plusieurs décennies, Mona Lisa fait couler des litres d’encre sans jamais pouvoir bouger le petit doigt ou remuer les lèvres. Des crampes dans les mains et un sourire qui rappelle étrangement le rictus crispé de ceux qui se prennent en photo devant son portrait, elle se tient là. Immobile. Universelle et invisible, Mona Lisa est immense et insignifiante. Et la photographie de Martin Parr n’avait pas menti : dans la Salle des Etats au Louvre, le harcèlement des téléphones, des tablettes et des appareils photo est d’une violence inouïe. On joue du coude pour passer un moment avec Mona Lisa. Dans ce brouhaha ambiant, elle est la seule muette. A tel point que, face à elle, 'Les Noces de Cana' ont tout d'une rave party.
Le corps du tableau
Mais ce samedi 15 avril 2017, date d’anniversaire de Léonard de Vinci, la vidéaste et performeuse Deborah de Robertis s’est octroyé la mise en œuvre des festivités. Le sourire aux lèvres, et vite débarrassée de sa robe de velours, elle réveille une Joconde trop longtemps restée impassible pour être « bienheureuse ». Le sexe et la gueule ouverte, avec l’insolence amusée qui lui est propre, Deborah de Robertis réconcilie l’image de la femme avec la femme. C’est alors que, sur leurs écrans tactiles, les badauds touchent une Mona Lisa de chair et d’os. Entre la sangle de sécurité et le mur de verre, devant la rampe, il y a un corps mobile, en lutte contre la passivité de son modèle. Elle est bien loin, la Joconde « plus petite que ce qu’on s’imagine ». Elle est bien loin, la « monstrueuse nudité », pourfendue par le XVIe siècle italien.
Les yeux de Deborah de Robertis sont les yeux de la Joconde
Voilà que, sur fond de violon (joué par Maria Poljanic), Mona Lisa se lève, gesticule, rampe et pose devant les touristes intrigués ; voilà qu’elle renvoie à la foule son regard insistant. Quel est le point de vue de Mona Lisa ? Que racontent ces yeux dont le mystère fait fleurir les interprétations ? Des années de fétichisme, de réification féminine outrancière, d’objectification aussi cheap que kitsch, peut-être. En s’appropriant le temps de quelques minutes ce que la Joconde aurait de risible, Deborah de Robertis se fait entertainer, comédienne, miroir révélateur, exorciste. Mona Lisa se donnera en spectacle si elle le veut bien. Et elle rira si le cœur lui en dit. Comme lorsqu’une garde du musée se moque : « Ca a déjà été fait devant 'L’Origine du monde' ! » Et Deborah de Robertis d’être bien placée pour le savoir. Ce jour-là, c’est elle qui, jambes écartées et sexe-étendard, met au monde Mona Lisa.
Le Louvre à l’épreuve, le corps à l'œuvre
Et, comme à son habitude, elle met au défi l’institution. Forte de sa détermination à vif, l’artiste incarne en corps sa réponse au système muséal de présentation et d’utilisation des œuvres. C’est que l’affaire Deborah de Robertis ne semble pas s’être arrêtée après ses performances au musée d’Orsay, à la Maison européenne de la Photographie, au musée Guimet ou encore au musée des Arts décoratifs. Récidiviste et jusqu’au-boutiste, celle qui a été accusée d’exhibitionnisme sexuel se sert de la réaction du public, des médias et des autorités pour construire sa réflexion. Accompagnée d'une artiste des Supporters de Galeries, qui a tout du hooligan façon art contemporain, elle se laisse donc photographier par les touristes qui s’interrogent, avant que le Louvre ne la laisse repartir sans porter plainte.
Ainsi, dans la brèche du hic et nunc – celle-là même qui rend ses performances impossibles à saisir pour le public qui ne se trouvait pas là par hasard –, Deborah de Robertis se faufile et propose une métaphore aussi effrontément personnelle qu’engagée. Le temps de quelques minutes, la Joconde devient sienne, mais pas seulement. La confrontation avec la 'Tentative de rapport avec un chef-d'œuvre' d'Alberto Sorbelli, performance plus récente et également réalisée par un homme, est explicite. Et semble même évoquer la fois où leurs actes performatifs avaient été mis en regard sur le plateau de France Inter : celui de Sorbelli avait été désigné comme "performance historique", et celui de De Robertis comme "exhibition"... Un plagiat pour l'égalité des sexes?
L'affaire à suivre
Deborah de Robertis ajoute là une pièce surprenante au patchwork de ses performances précédentes, et peut-être de celles à venir. Car ces coups d’Etat artistiques se suivent les uns les autres, suggèrent un récit (un film ?) politique et esthétique à venir, et surtout, désignent une énergie à l’œuvre que rien ne semble pouvoir arrêter. D'ailleurs, pour la première fois, l'artiste-performeuse a annoncé qu'une vidéo, qui reprend « les codes du rap », sera publiée sous peu...
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